Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 44.djvu/447

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Celui-là seul qui dégage son cœur de toute influence extérieure — se complaît dans la solitude, et sait en apprécier le bienfait. — La pluie vient le matin et s’arrête le soir, sans que j’en aie connaissance, — et la verdure naît au printemps sans attirer mon attention. — Sortie des ombres de la nuit, la montagne a déjà repris les teintes brillantes de l’aurore; — sans les petits oiseaux qui chantent autour de ma demeure, je ne m’en serais pas même aperçu. — Parfois je m’entretiens, assis près d’un bonze tao-sse[1]; — parfois je chemine côte à côte avec un pauvre bûcheron. — C’est un instinct puissant qui m’attire ainsi vers les pauvres et les faibles, — et non l’orgueilleuse pensée d’affecter le mépris des grandeurs. »


Arrêtons-nous sur cette pièce qui nous fait rejoindre enfin les grands sentimens de l’humanité par la voie du raffinement et de la subtilité. Nous ne croyons pas avoir oublié de mettre en lumière aucun détail intéressant, et nous pouvons enfin fermer ce volume, le plus curieux recueil de littérature orientale qu’on ait offert au public lettré depuis la traduction des Avadanas de M. Stanislas Julien. Nous ne pouvons qu’engager le traducteur à continuer pour les époques plus récentes le travail accompli pour l’époque des Thang et à pousser ses explorations jusqu’à nos jours, si cela lui est possible. Il serait curieux de posséder un recueil de poésies chinoises récentes et de connaître exactement quel est l’état actuel de l’intelligence dans cette vieille société.

J’éprouve, en fermant ce volume, le besoin de poser deux questions, en laissant à de plus savans le soin d’y répondre. On a pu constater la ressemblance extraordinaire que les œuvres des lettrés chinois présentent avec les œuvres de l’intelligence européenne. Parmi les sentimens qu’ils ont exprimés, il y en a quelques-uns de bizarres, aucun que nous ne puissions retrouver dans notre expérience, si nous la scrutons avec sagacité, et que nous ne puissions comprendre avec un peu d’attention. Je demande aux critiques modernes, qui ont trouvé tant de théories ingénieuses sur les races, comment il se fait que ces frères mongoliques, au visage arrondi et aux yeux obliques, semblent avoir avec les nations européennes une parenté d’âme et d’intelligence, tandis que les autres peuples orientaux, qui sont nos véritables parens selon la chair et les lois de la race, n’ont avec nous pour ainsi dire qu’une parenté de visage et de couleur. Comment se fait-il que nous retrouvions en Chine la morale que nous considérons comme la plus favorable au bonheur du genre humain, le même esprit d’humanité que nous considérons comme le meilleur instrument du perfectionnement de notre espèce, le même rationalisme éclairé que nous considérons comme la véri-

  1. Bonze sectateur des doctrines de Lao-tseu.