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avec les faits. Si l’église enseigne la cosmologie de Ptolémée, la cosmologie de Copernic et de Newton ne pourra s’établir sans ébranler l’autorité de l’église. Si l’Écriture renferme sur la création ou le déluge des relations qui sont en désaccord avec la science moderne, s’il y a des contradictions ou des impossibilités historiques dans ses récits, si çà et là nous y rencontrons des sentimens qui nous blessent ou des exemples qui nous scandalisent, il est clair que nous sommes placés dans l’alternative d’abandonner l’infaillibilité de l’Écriture, ou de fermer violemment nos yeux à l’évidence. C’est ici que les esprits légers ou prévenus ont un grand avantage sur les esprits droits et sérieux. Ils n’ont garde de s’appesantir sur des questions qui les embarrassent, ils en détournent leur attention, et, n’en sentant plus le poids, ils finissent par croire qu’elles n’existent point. Que si les circonstances ramènent les objections devant eux, si la controverse les oblige à s’en occuper, si le doute est dans l’air, si la critique viole la consigne qui devait lui défendre leur porte, il leur reste encore des ressources : la majesté des traditions, la sainteté de la foi, les intérêts de la religion et ceux de la morale religieuse, le danger de tout perdre du moment qu’on renonce à tout défendre, autant de fins de non-recevoir qu’ils opposent aux argumens les plus spécieux. Entrent-ils dans l’examen des difficultés qu’on leur oppose, c’est pour se contenter des réponses les plus faibles, des preuves les plus illusoires : après quoi, ils retournent à leurs occupations, ils s’étourdissent par l’accomplissement de leurs devoirs, ils cherchent dans la pratique des vertus chrétiennes l’oubli de ces questions importunes, et ils se persuadent qu’ils sont en règle avec la sincérité et la vérité. Bien différent est le sort de l’âme scrupuleuse qui tient par-dessus tout à être au clair avec elle-même, qui se reprocherait d’aller au-delà de ses convictions, qui ne sait se faire ni illusion ni violence, qui a appris à tout subordonner à la vérité, dogmes, traditions, les préceptes les plus saints, les autorités les plus hautes, persuadée que la vérité n’est rien si elle n’est tout, et que rien n’est sacré que ce qui est vrai!

Le docteur Colenso, il faut le reconnaître, est un homme de cette noble race. «Dieu m’en est témoin, s’écrie-t-il, j’ai passé bien des heures douloureuses lorsque, lisant la Bible et regardant chaque parole du saint livre comme une parole de Dieu, j’y trouvais des contradictions qui me paraissaient incompatibles avec son autorité absolue, et que dans tout autre livre je n’aurais pas hésité à regarder comme des erreurs. Mais non, on m’avait appris qu’il était de mon devoir d’étouffer en moi toute étincelle de doute, comme si ce n’était pas l’amour de la vérité qui eût allumé ces étincelles, et comme si l’amour du vrai n’était pas un don de Dieu. Je réus-