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de la propriété facilement acquise et de régulariser le mouvement de la colonisation en l’appelant sur les points que l’intérêt politique ou l’intérêt commercial recommandait de préférence. On l’a appliqué tantôt au profit de grandes compagnies, tantôt au profit de particuliers, et presque partout l’expérience lui a été contraire. Parmi les compagnies qui, au XVIIe et au XVIIIe siècle, ont été formées en Europe pour l’exploitation agricole des terres du Nouveau-Monde, aucune n’a réussi; presque toutes ont éprouvé des désastres. Les concessions individuelles n’ont pas été plus prospères. Ce régime est arbitraire et accompagné de restrictions qui le rendent stérile. L’état, qui concède la terre à qui il veut, se croit le droit d’imposer, en échange, des conditions qui pèsent sur le travail, et il prescrit des formalités qui éloignent les capitaux et les bras. La gratuité du sol n’est qu’un leurre pour le colon quand celui-ci se trouve sous le coup de conditions résolutoires qui compromettent l’avenir de sa concession; elle retarde et met en péril l’œuvre de la colonisation, qui risque de voir immobiliser pendant un temps plus ou moins long entre les mains de détenteurs peu sérieux et impuissans, et pour ainsi dire de colons officiels, une partie du sol. De nos jours, ce système a été appliqué en Algérie : on sait ce qu’il a produit. Il est également en vigueur dans quelques contrées de l’Amérique du Sud, où les gouvernemens essaient d’attirer les émigrans européens par l’appât de lots de terre; ces essais n’ont amené que des déceptions. Enfin la concession directe et gratuite est entachée d’un vice radical en ce qu’il substitue l’action administrative à l’action individuelle et la réglementation à la liberté. L’homme ne s’agite pas quand l’administration le mène : il n’a point le stimulant de la responsabilité, l’initiative lui est interdite. Les exemples que l’on pourrait citer de quelques colonies militaires florissantes sous le joug administratif ne sont que des incidens sans valeur dans l’histoire de la grande colonisation. La concession n’est donc point, à vrai dire, un système, c’est un simple expédient, et les métropoles, éclairées par l’expérience, feront sagement d’y renoncer.

La vente des terres ne provoque point les mêmes objections. Ce mode offre, en premier lieu, l’avantage de faire au colon une situation nette en lui procurant la sécurité pour l’avenir, et de constituer la propriété en créant de véritables propriétaires. Alors que le concessionnaire gratuit peut n’être point pressé de mettre en valeur le lot de terre qui lui a été donné, l’acheteur qui a déboursé un capital, si minime qu’il soit, est intéressé à cultiver sans retard pour obtenir l’intérêt de ce capital engagé. Par le fait de l’achat, le nouveau propriétaire a manifesté l’intention sérieuse de concourir à la colonisation; le voici désormais attaché au sol par le prix même que celui-ci lui a coûté : lien matériel et moral tout à la fois qui le re-