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zéros. C’est ainsi qu’un jour il fit d’un billet de banque de 10 liv. sterl. un billet de 1,000.

« Le diable, disent les Anglais, finit tôt ou tard par abandonner ses amis. » Une fausse note que Price avait remise à un orfèvre de Londres pour de l’argenterie destinée à rehausser le luxe et la magnificence d’une table princière fit enfin découvrir son vrai nom et son adresse. Après avoir volé la Banque durant plusieurs années, Price, voyant qu’il n’y avait plus moyen d’échapper à la justice, finit par voler le bourreau : grâce à l’entremise de son fils, il se procura les moyens de se détruire lui-même. Le tribunal n’avait plus à juger qu’un cadavre ; mais, selon une ancienne coutume anglaise, les restes de l’homme qui s’était traîtreusement suicidé furent enterrés à minuit dans un chemin de traverse solitaire, et un poteau d’infamie s’éleva sur cette tombe sans nom[1].

La répression du crime de forgery (contrefaçon des billets de banque) donna lieu, il y a une quarantaine d’années, à une vive controverse en Angleterre. On sait que la loi prononçait jadis la peine de mort contre les faussaires (forgers), et plus d’un parmi eux avait péri par le gibet, lorsque tout à coup la conscience publique s’alarma. Le jury ne condamnait plus, les témoins ne voulaient plus déposer, les victimes des faux aimaient mieux endosser des pertes assez considérables que de prêter les mains à un châtiment qu’ils regardaient comme trop rigoureux. Il en résultait que la justice, ainsi armée d’une peine trop sévère, passait au-dessus de la tête du coupable sans l’atteindre. Ce mouvement mérite d’être signalé, car il montre de quelle manière tombent ou se modifient en Angleterre les lois qui se trouvent désormais en arrière des mœurs et de l’opinion publique. Les arts mêmes s’en mêlèrent et plaidèrent dans cette circonstance la cause de l’humanité. Un artiste de mérite, qui s’est frayé une voie à part entre la caricature et la peinture philosophique, George Cruikshank, lança vers cette époque une gravure humoristique sur l’impitoyable rigueur avec laquelle on punissait ces sortes d’offenses[2]. Les argumens qu’on faisait valoir contre la peine de mort en matière de faux puisèrent dans la vive esquisse de Cruikshank une force nouvelle. Une pétition fut rédigée contre cette pénalité rigoureuse ; par quelles signatures fut-elle couverte ? Elle fut appuyée par les banquiers, les hauts commerçans, qui avaient perdu toute confiance dans la sévérité de la loi. Enfin un bill fut présenté en 1830 par sir Robert Peel devant les deux chambres pour abolir la peine capitale dans certains cas : ce bill

  1. Cette coutume est aujourd’hui considérée comme barbare et à peu près abolie ; les jurés admettent le cas d’insanité temporaire, même quand cette circonstance atténuante du suicide n’est point tout à fait prouvée.
  2. On peut voir cette esquisse à Exeter-Hall.