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simple frôlement, ce papier se montre le plus souvent incrusté de caractères imprimés dans l’épaisseur de la pâte, et que les Anglais désignent sous le nom de water mark[1]. À son arrivée dans le magasin de la Banque (bank-note paper store), il est rangé sur les casiers par paquets de cinq cents feuilles, et chaque feuille présente en longueur la surface de deux billets. Il reste dans ce magasin durant quelques mois, jusqu’au moment où le jour est venu de le mettre sous presse. Ce jour est d’ailleurs déterminé par les ordres du caissier en chef de la Banque (chief cashier), qui écrit au chef de l’imprimerie, aujourd’hui M. Coe, pour régler le nombre du tirage. Ici commence la série des faits et des travaux qui doivent transformer une feuille de papier blanc en une valeur revêtue du caractère de monnaie courante (legal tender).

Les billets de banque sont imprimés deux fois : — d’abord à l’état de squelette, in skeleton, c’est-à-dire sans date, sans numéro et sans signature, puis à l’état parfait. Pénétrons dans la salle où le papier vierge reçoit en passant sous la presse la première forme de ce que les Anglais appellent un « billet de promesse, » promissory note. C’est une grande salle d’imprimerie, printing room, éclairée par de hautes fenêtres et où s’élèvent des machines en fer mues par la force invisible de la vapeur. Chacune de ces machines peut tirer trois mille notes par heure, et comme il y a trois machines à l’œuvre, c’est une moyenne de trente à quarante mille billets de banque embryonnaires qui peuvent sortir en un jour de dessous les presses[2] À ces dernières est attaché une sorte de cadran avec une aiguille qui, au lieu de marquer les minutes, dénonce le nombre toujours croissant des futures bank-notes tirées[3] et défie de la sorte toute idée de larcin. Chaque machine est servie par un groupe de quatre enfans et par un ouvrier : les hommes gagnent 2 livres sterling, les enfans 6 shillings par semaine ; mais lorsque ces derniers ont atteint l’âge de quinze ans, ils sont placés par la Banque dans des maisons de commerce ou apprennent un état. J’en ai vu un qui, ayant perdu un bras au service de l’établissement, se trouve maintenant employé dans les bureaux. N’est-il pas d’ailleurs curieux de voir les signes apparens de la richesse publique naître en quelque sorte sous ces mains pauvres et innocentes ? Les

  1. Cette marque d’eau, qui consiste en chiffres exprimant la valeur du billet, ne s’applique qu’aux bank-notes de 5 à 50 livres sterling. Ce sont presque les seuls billets sur lesquels s’exerce la contrefaçon. Ceux d’une valeur plus élevée ne réclament point la même précaution contre la fraude.
  2. Le nombre de billets ou bank-notes fabriqués dans les murs de l’établissement est à peu près en moyenne de 10 millions par an.
  3. Nous mettons au féminin le mot anglais bank-note, conformément au genre du mot français dont il dérive.