Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 43.djvu/637

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’habitudes royales. Il en est ainsi de nos dispositions dominantes : ce qui n’était chez l’enfant qu’une inclination mal définie et toujours modifiable se fait parti-pris inflexible. Le défaut qui s’ignorait se connaît et s’accepte; le penchant, d’abord involontaire, a maintenant notre consentement. Ah ! voilà le terrible ! La verdure est si belle à son déclin! C’est quand le terme des joies humaines se laisse entrevoir que l’esprit s’en éprend le plus. Autrefois nos goûts étaient de simples goûts, des instincts qui s’éveillaient à leur heure et qui agissaient en nous sans être nous; maintenant ils sont passés dans notre sang, dans notre intelligence, dans notre conscience : ils sont nous-mêmes. Nous ne nous contentons plus de manger et de boire; c’est notre âme qui se dit à elle-même : « Repose-toi, mange, bois et fais grande chère. »

Je parlais de la souplesse et de la fraîcheur que M. Michelet avait conservées : c’est assez dire qu’il a évité la plupart de ces écueils; mais comment nous revient-il en somme? A-t-il bien canalisé de tous les côtés le torrent qui grossissait? A-t-il retiré de l’expérience la protection que, grâce à Dieu, elle peut toujours nous fournir contre nous-mêmes, contre nos faiblesses et même contre nos qualités? A-t-il su mieux que par le passé concilier les entraînemens de l’imagination avec les exigences de l’histoire? La Sorcière répondra peut-être à ces questions, car elle nous réserve plus d’une surprise. Le nouveau livre renferme ce que, d’après le titre et la table des matières, on songerait peu à y chercher : il nous livre la pensée de M. Michelet comme historien, la préoccupation dominante au point de vue de laquelle il a écrit et récrit, pendant ces dernières années, l’histoire de notre pays.

Comme historien, il m’a toujours paru que M. Michelet avait eu dans sa destinée quelque chose qui s’explique difficilement au premier abord. Il n’est pas bien aisé, je le sais, de mesurer au juste l’influence d’un homme, car on est forcé d’en juger seulement d’après ce qu’on a pu remarquer par hasard, et sans tenir compte de tout ce que l’on n’a pas rencontré sur sa route; pourtant il y a comme des signes qui sont dans l’air, et il me semble que l’influence exercée par M. Michelet n’est point en proportion de ses travaux et de son talent. Qu’il ait l’esprit impartial qui convient au juge et qu’il nous ait fait avancer dans la connaissance réelle de notre histoire, que ses jugemens, ses représentations, si l’on veut, nous donnent en somme une idée plus exacte et plus complète des hommes et des choses de notre passé, il est possible de le contester; mais à les prendre comme des données et des élémens d’appréciation, comme des aperçus ouvrant de nouveaux points de vue et fournissant des matériaux inconnus pour une conclusion plus large, on ne saurait porter trop haut les services qu’il a rendus. M. Michelet a surtout ce qui fascine et