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qu’il vint prêter serment à la constitution au milieu des chambres, Dieu le sait, je gouverne, non parce que. tel est mon bon plaisir, mais parce que telle est la volonté du Seigneur ! » Ce fut, s’il est permis de s’exprimer ainsi, un gouvernement par dépit, et qui ne voulut aucunement pardonner à la nation sa conduite « déloyale » en l’année 1848. Un grand dignitaire de l’état, interrogé par le roi sur le tour emphatique qu’il avait donné, lui, à son serment pendant cette même séance ; répondait qu’il avait accentué ainsi ses paroles dans l’espoir « que des ce jour tout désaccord avait cessé entre le monarque de Prusse et son peuple. » Il fut interrompu par cette exclamation : « Il ne peut jamais être question d’une telle chose, au grand jamais (nun und nimmermehr !) » Rien de plus pénible que le spectacle des alternatives de hauteur et d’abattement, d’orgueil frémissant et de bouderies presque enfantines, que présentait le souverain, depuis cette époque fatale ; on eût dit un roi Lear tour à tour superbe et dégoûté, et dont l’humeur changeante n’avait d’excuse ni dans la perte regrettée d’un trône ni dans le dur abandon des siens. Frédéric-Guillaume IV aimait souvent à répéter « que la vase de l’année 1848 n’avait pu enlever de son front la grâce du baptême ; » il est sûr toutefois qu’elle lui avait enlevé la grâce royale, cette sérénité de vue et cette impassibilité indulgente qui conviennent si bien à ceux qui sont placés au faîte : des destinées des nations, et son entourage entendit depuis sortir plus d’une fois de sa bouche royale ce mot de « chien d’état ! (raker von staat), » bien caractéristique, quoique assurément peu solennel. On se rappelle peut-être l’étrange abus que faisait l’école romantique de l’ironie en la présentant comme la plus haute expression de l’art ; le romantique couronné usait alors parfois de cette même ironie comme de la ressource suprême du gouvernement, et le monarque qui n’avait au fond sacrifié aucune de ses prérogatives, déclinait, volontiers la responsabilité pour les actes de sa politique par un haussement d’épaules et cette boutade chagrine : « Je suis un prince constitutionnel, et je ne puis plus rien ! »

Le roi Frédéric-Guillaume IV prit bientôt en aversion Berlin, la ville révolutionnaire, qu’il s’était autrefois tant plus à orner et à embellir. Charlottenbourg devint sa résidence constante ; pendant l’hiver, il ne venait dans la capitale, qu’au temps les fêtes du carnaval pour y donner les fêtes de représentation d’usage ; la croyance populaire assurait même qu’il s’était fait le serment de ne jamais passer une nuit à Berlin. L’aspect de la cour devint de plus en plus morose, et compassé, l’ancienne piété fut peu à peu remplacée par l’intolérance ; à l’ancienne émotion religieuse, qui n’avait certes pas manqué de grâce poétique, succéda une espèce de fanatisme singulièrement