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se prête pas à l’indigne fourberie de son poète. Les yeux tournés vers l’idéal, c’est l’amour vrai qu’il chante par la bouche de Fiordiligi et de Dorabella, et il tire de ces êtres vulgaires que lui présente la réalité un divin concert digne de charmer un Platon ou un saint Augustin. Ce quintette est séparé par un duettino entre Guglielmo et Ferrando, par un chant guerrier, d’un second quintette non moins exquis de sentiment ; ce sont les adieux que se font les deux couples amoureux en présence de don Alfonso :

Di scrivermi ogni giorno
Giurami, vita mia.


« Jure-moi, ô mon cœur, de m’écrire chaque jour ! » Et sur ces paroles d’un style bourgeois Mozart exhale encore un hymne d’amour qui a frappé Rossini, car il en a reproduit l’accent et le dessin d’accompagnement dans le beau trio du second acte de Semiramide, — L’usato ardir. — Un trio délicieux entre les deux femmes et don Alfonso est aussi passé sous silence au Théâtre-Italien, et cette suppression est d’autant plus blâmable qu’il est facile à chanter. Un air d’un grand style, — Smanie implacabili, — que chante Dorabella par la bouche de Mme Alboni, qui est obligée de le transposer et de l’altérer, précède un autre petit air que chante Despina la camériste, après quoi vient un sextuor très compliqué et très varié d’incidens. Ce sextuor, par lequel on termine le premier acte au Théâtre-Italien, résulte de la présentation des deux amans qui, sous le costume de Valaques, viennent éprouver la fidélité de Fiordiligi et de Dorabella. Celles-ci reçoivent les prétendus étrangers avec indignation, et ce sentiment est rendu par un mouvement énergique qui emporte les quatre autres voix dans un ensemble harmonieux d’un puissant effet. Ce sextuor est très difficile à bien exécuter. Un air de Fiordiligi, un autre très piquant de Guglielmo, précèdent un trio pour voix d’homme d’un comique délicieux : — E voi ridele ? — Certo, ridiamo. — Ce sont don Alfonso d’un côté, Guglielmo et Ferrando de l’autre, qui rient à gorge déployée de la scène qui vient de se passer avec Fiordiligi, Dorabella et Despina. Après ce trio d’une gaîté si franche, qu’on fait aussi répéter chaque soir, Ferrando reste seul, et sans cause apparente, sans rime ni raison, comme on dit vulgairement, il exhale de son cœur un soupir d’une douceur ineffable :

Un’aura amorosa…


À quel propos Ferrando dit-il ces paroles insignifiantes et chante-t-il cette mélodie d’une suavité si exquise ? À qui parle-t-il ? à qui exprime-t-il le sentiment très vague qui l’anime ? Il parle aux étoiles, il dit ce qu’il sent pour le plaisir de le dire ; c’est à Dieu, c’est à l’espace et à la nature qu’il chante l’hymne de son amour, c’est enfin à lui-même qu’il confie sa joie et qu’il avoue qu’un regard clément de la femme qu’on aime est la plus grande joie de la vie. Cela suffit, ô grossiers réalistes, pour faire un chef-d’œuvre de l’art ! M. Naudin chante ce bel air, qu’on lui fait recommencer, avec un goût qui serait presque irréprochable, s’il ne poussait parfois des sons violens comme s’il s’agissait d’un air de M. Verdi. Un sextuor d’une grande variété d’incidens forme le finale du premier acte dans la partition de Mozart. C’est la scène impossible des deux prétendus Valaques, lesquels,