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cisque imponere morem ! — on célébrait sur tous les tons l’aimable aspect de leurs états multiples, le charmant sans-souci et la placide tranquillité de leurs diverses capitales... Comme si la vocation et la dignité de l’homme ou d’une nation consistaient dans la douceur, la facilité ou même l’amabilité de la vie ! comme si pour l’homme, aussi bien que pour une nation, le premier des devoirs n’était pas le libre développement de l’activité innée, l’exercice énergique de toutes les facultés immanentes à tous les points et dans toutes les directions! comme si dans la peinture même, et pour ainsi dire en image, l’histoire n’était pas mille fois préférable au genre! A ceux qui lui vantent tant la multiplicité de ses autonomies et les lui recommandent comme des garanties efficaces de liberté et de bonheur, l’Allemand pourrait demander s’ils ont jamais lu certaines ordonnances et rescrits ridicules de Henri LXXII, souverain de Reuss, ou de tel autre potentat minorum gentium; s’ils ont jamais entendu parler d’une certaine courtisane espagnole venant, au beau milieu du XIXe siècle, dans ce Munich, centre des arts et des sciences, renverser des ministères, changer d’un jour à l’autre le régime du pays et gouverner un état à la pointe de sa cravache, pour avoir su plaire à l’un des représentans les plus considérables de cette bienheureuse autonomie; s’ils savent bien, entre autres, qu’un M. de Hassenpflug, condamné en Prusse à une peine infamante pour malversations, a pu devenir premier ministre dans un état allemand voisin, tenir pendant des années les habitans de la Hesse électorale sous une main flétrie et rapace, bien plus, siéger à la diète de Francfort au nom de son grand-duc et à côté du plénipotentiaire de cette même puissance qui maintenait toujours contre lui son mandat d’amener, — tout cela grâce à l’indépendance dont jouissait chaque partie d’une patrie commune!... A ceux qui lui conseillent d’éviter la région des tempêtes et de ne pas ambitionner un rôle plein de déboires et de périls, il pourrait demander si le ridicule n’est pas pour une nation, à certains égards, le plus extrême des dangers, et s’ils ont jamais gardé leur sérieux toutes les fois que l’Allemagne, dans sa constitution actuelle, a été amenée à dire son mot dans les grandes affaires du monde. Le pays de Leibnitz et de Keppler, de Goethe et de Schiller, de Kant et de Hegel, exerce-t-il sur les intérêts généraux de l’Europe, sur les grandes transactions internationales, une influence qui soit en rapport quelconque avec son importance morale, commerciale, industrielle, voire avec ses simples ressources militaires? Il serait malaisé de vouloir nier la gravité de ces objections; il serait difficile aussi de ne pas convenir que l’Italie, unie depuis deux ans à peine, encore dépourvue de capitale et de frontières et certes bien peu assurée dans son assiette, a cependant su, dans les grandes questions qui à cette heure agitent ou attendent