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avait eu le talent de publier en un an 1,838,000 traités, 429,167 petits livres de piété, 2,758,000 numéros de trois journaux religieux. On peut juger du nombre des feuilles volantes, qui n’était point indiqué. Le colportage est le grand agent de distribution de ces richesses spirituelles, et je n’ai pas vu sans sourire le sérieux avec lequel l’American Tract Society établissait le bilan des bienfaits qu’elle avait ainsi répandus : elle représentait le travail total de ses colporteurs pendant vingt et un ans par le travail d’un seul d’entre eux pendant 45,151 mois, et pendant ce temps ce colporteur unique aurait vendu 7,413,171 volumes, en aurait donné 2,132,924, aurait pris la parole en public 205,770 fois, aurait visité 8,617,389 familles, et aurait prié ou causé religion avec 4,385,035 d’entre elles ! Comment se fait-il qu’un peuple aussi amoureux de statistique que l’Américain soit en même temps aussi peu partisan du progrès en économie politique ?


II

Il est difficile, pour ne pas dire impossible, d’étudier une société sans faire la part de bien des détails de mœurs ou d’organisation que rien ne semble relier au premier abord, mais dont la signification n’est pas moins importante, car c’est en pareil cas que l’ensemble naît des détails. Cet Américain, que l’on a vu si résolument s’attaquer aux grands problèmes de la vie sociale, il faut aussi le voir aux prises avec la vie de chaque jour. Il faut dire l’emploi qu’il fait de cette richesse, but et mobile de toute&ses actions, et de ce temps qu’il considère comme son capital le plus précieux. Il faut rechercher si dans cette existence affairée quelque place a été laissée à l’influence des arts ; il faut enfin racoter comment l’on s’amuse à New-York, car le Yankee, lui aussi, a ses plaisirs, malgré son austérité et sa raideur plus apparente que réelle.

Aucun détail d’organisation matérielle n’a été plus perfectionné par les Américains que celui des voyages, et cela à tous les degrés de la circulation, soit qu’il s’agisse simplement de parcourir une ville, soit que l’on ait à franchir les espaces immenses qui séparent le littoral des régions chaque jour plus populeuses du Far-West. C’est ainsi par exemple que, grâce à l’organisation des lignes d’omnibus, le New-Yorkais a résolu le problème de la suppression presque complète des voitures de louage dans un centre de population de près de trois lieues d’étendue en longueur. Il est vrai de dire que la disposition des lieux s’y prêtait, et le plan de la ville fut arrêté en conséquence dès qu’il fut question de le régulariser. New-York occupe l’île de Manhattan, d’environ 13 kilomètres de long sur 2 de