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son triste mari, elle manqua perdre la raison, et on entendait ses cris dans la rue. Quelle enfance Byron mena dans l’antre de « cette lionne, » dans quelles tempêtes d’insultes entrecoupées d’attendrissemens il vécut lui-même, aussi passionné et plus amer, c’est ce qu’un long récit pourrait seul dire. Elle courait après lui, l’appelait gamin boiteux, vociférait et lui lançait à la tête la pelle à feu et les pincettes. Il se taisait, saluait et n’en sentait pas moins l’outrage. Un jour qu’il était « dans une de ses rages silencieuses, » il fallut lui arracher de la main un couteau qu’il avait pris sur la table et que déjà il portait à sa poitrine. Une autre fois la querelle fut si terrible que le fils et la mère, chacun séparément, s’en allèrent chez le pharmacien pour « savoir si l’autre n’était point venu chercher du poison pour se détruire, et pour avertir le marchand de ne point lui en vendre. » Quand il alla aux écoles, « ses amitiés, dit-il lui-même, furent des passions. » Bien des années après, il n’entendait point prononcer le nom de Clare, un de ses anciens camarades, « sans un battement de cœur. » Vingt fois pour ses amis il se mit dans l’embarras, offrant son temps, sa plume, sa bourse. Un jour, à Harrow, un grand brimait son cher Peel, et, le trouvant récalcitrant, lui donnait une bastonnade sur la partie charnue du bras, qu’il avait tordu afin de le rendre plus sensible. Byron, trop petit et ne pouvant combattre le bourreau, s’approcha de lui rouge de fureur, les larmes aux yeux, et d’une voix tremblante demanda combien il voulait donner de coups. « Qu’est-ce que cela te fait, petit drôle? — C’est que, s’il vous plaît, dit Byron en tendant son bras, j’en voudrais recevoir la moitié. » La générosité surabondait chez lui comme le reste; «jamais, dit quelqu’un qui le connut intimement dans sa jeunesse, il ne rencontrait un malheureux sans le secourir. » Plus tard, en Italie, sur cent mille francs qu’il dépensait, il en donnait vingt-cinq mille. Les sources vives dans ce cœur étaient trop pleines et dégorgeaient impétueusement le bien, le mal au moindre choc. A huit ans, comme Dante, il devint amoureux d’une enfant nommée Mary Duff. « N’est-ce pas étrange, écrivait-il dix-sept ans plus tard, que j’aie été si entièrement, si éperdument épris de cette enfant à un âge où je ne pouvais point ressentir l’amour, ni savoir le sens de ce mot?... Je me rappelle tout ce que nous nous disions l’un à l’autre, nos caresses, ses traits; je n’avais plus de repos, je ne pouvais dormir... Mon angoisse, mon amour étaient si violens, que parfois je me demande si j’ai eu depuis un autre attachement véritable... Quand plus tard j’appris son mariage, ce fut comme un coup de foudre, j’étouffai, je tombai presque en convulsions. » Pareillement lorsqu’à douze ans il aima sa cousine Marguerite Parker, il en perdit le sommeil, il ne mangeait plus. « J’avais sujet de croire qu’elle m’aimait, et pourtant la grande affaire de ma vie était de