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bien que les temps de son extrême richesse commerciale fussent passés, sa prospérité était encore un objet d’envie ; « la liberté comme à Venise ! » était un cri populaire dans les fréquentes émeutes du commencement du siècle à Florence, et je lis dans le livre de M. Baschet qu’au milieu des troubles incessans de notre pays, plus d’un bourgeois de France s’écriait : « Oh ! si j’avais mes biens à Venise ! » Venise exerçait, par la solidité de sa constitution politique et de sa richesse, l’ascendant dévolu à partir du milieu du XVIIIe siècle à l’Angleterre ; un des fondemens de sa grandeur était son admirable diplomatie.

Beaucoup des relations que les ambassadeurs vénitiens devaient lire au sénat au retour de leurs missions étaient déjà connues avant le livre de M. Baschet ; l’intérêt de ces pièces diplomatiques en avait fait rechercher de très bonne heure les copies. Ces copies se trouvent éparses aujourd’hui dans toutes, les bibliothèques et archives publiques ou particulières de l’Europe, et j’en ai retrouvé par exemple un grand nombre dans les dépôts d’Upsal, de Stockholm, de Lund et de Copenhague. De 1830 à 1840, plusieurs collections en ont été publiées, et M. Baschet ouvre son volume par une bibliographie très intéressante à ce sujet. Sans se priver au besoin de ces sources désormais communes, mais en s’appuyant de préférence et constamment sur l’étude qu’il a faite dans les différentes archives vénitiennes des documens originaux, M. Baschet a entrepris de reproduire d’après les relations une galerie entière du XVIe siècle. En attendant que cette vaste publication s’achève, la première partie, relative aux princes, aux papes, aux sultans, etc., est déjà digne de la plus sérieuse attention.

Quatre chapitres consacrés à Catherine de Médicis doivent tout d’abord être signalés comme infiniment curieux. Voici, d’après les relations de ces ambassadeurs vénitiens, témoins assidus et attentifs de sa conduite, le rôle de cette reine, tant de fois discuté. Mère Impérieuse et souveraine jalouse du pouvoir, elle est prête à tout oser, suivant eux, pour retenir aux mains de ses fils, dominés par elle-même, toute l’autorité. C’est ce qu’ils appellent sa passion d’être la maîtresse, affetto di signoreggiare, et elle leur paraît en réalité la maîtresse absolue, la padrona assoluta. Catherine n’est arrivée au suprême pouvoir qu’à travers mille obstacles : pendant dix années, elle a été épouse stérile et dédaignée. Au moment où naissait le premier de ses dix enfans, Diane de Poitiers était sa rivale plus que jamais puissante ; mais Catherine a été patiente, et s’est contenue. L’étude de l’astrologie, qui pendant longtemps a paru l’absorber, lui a révélé sans doute, dit spirituellement M. Baschet, les premiers scintillemens de l’étoile glorieuse qui devait un jour se lever pour elle. Elle touche enfin au pouvoir, après la mort de son mari, sous le règne de son premier fils, François II, et sous celui de son second fils, Charles IX : mais la couronne est entourée de mille dangers. Catherine craint les Guises, à qui elle paraît se confier, et les protestans, dont elle attribue l’humeur turbulente à des mouvemens d’ambition et à l’amour de la vengeance, non à des sentimens religieux auxquels, en Italienne sceptique, elle ne croit pas volontiers. À travers tant de périls, imaginaires ou réels, il faut qu’à tout prix elle conserve son autorité personnelle sur son fils, afin de travailler librement à sauvegarder la couronne sur la tête des derniers Valois. Mais quelle double tâche à remplir