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de M. Léon Renier. Il y a là des terrains factices formés de ruines entassées. On parle d’un couvent voisin où l’on est certain que la terre n’a pas été remuée depuis sept cents ans ; autant dire qu’on n’y a jamais rien cherché, car du Ve au XIIe siècle on détruisait, on ne cherchait pas. Aujourd’hui sur cette colline, comme sur l’Esquilin, un observateur ordinaire n’aperçoit que les parties indestructibles des ruines de ces habitations impériales qu’on prendrait pour des palais de géant. Il erre au hasard parmi ces énormes conglomérats de briques ou de poudingues artificiels qui se soutiennent encore en piliers, en voûtes, en arceaux, ou gisent à terre comme des rocs erratiques. De ces palais démantelés on ne saisit que confusément l’ancienne ordonnance. Après avoir vu les monumens du Forum, relativement petits pour la plupart, on se demande comment il fallait tant de place pour loger Livie, Julie, Agrippine, Poppée, et pourquoi une cour veut plus d’espace qu’un peuple. Si l’on n’apercevait çà et là d’élégantes traces d’un pavé ou d’une voussure en mosaïque, si l’on ne savait que le Méléagre, la Flore ; le Laocoon, bien d’autres trésors des plus célèbres musées, ont été retirés de ces décombres, on se croirait plutôt au milieu des ruines d’une citadelle casematée contre les plus puissans engins de la balistique moderne qu’au milieu des restes des temples du luxe et de la volupté. C’est une remarque de M. Ampère que le despotisme a une certaine sympathie pour le colossal dans les arts. L’architecture de l’Égypte et d’une partie de l’Orient en fournit des preuves que confirme celle de l’empire.

Ces hommes démesurés dans la tyrannie, le faste, la cruauté et le plaisir, les Néron, les Domitien, les Caracalla, ont laissé des monumens énormes comme leur puissance, leurs passions et leurs vices, et malheureusement pour la raison, pour l’humanité et le goût, l’art asservi et corrompu des Grecs a jeté sur ces créations gigantesques un dernier reflet de cette beauté suprême qui dans sa pureté passait déjà pour antique. On est donc forcé d’admirer encore des ruines qui ne réveillent que des souvenirs détestés. En les regardant de sang-froid, on cherche les raisons de cette manière de bâtir, si différente des proportions usitées sous la république, si éloignée surtout du goût hellénique. On voudrait savoir si, indépendamment des variations d’un goût fantasque et blasé, les Romains, réputés si habiles à bâtir, se fiant à la ténacité de leurs cimens, ne cherchaient pas souvent la solidité dans l’épaisseur des maçonneries plus que dans la coupe et l’ajustement des pierres, et si les hardiesses et les volumes de telle ou telle de leurs constructions ne viendraient point d’une certaine inexpérience des procédés les plus simples et les plus sûrs pour réunir l’élégance et la stabilité.