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Recevez-la, car la persévérance
Sera sans fin ou tôt sera finie,
Pis que morte.

« Votre très humble et très obéissante

Plus que sujette et servante. »


Quand on croit, pouvoir affirmer sans hésitation qu’une lettre non signée et aussi embrouillée que celle-ci est de la même ; princesse qui a écrit au même roi cent trente-sept autres lettres aussi lucides qu’irréprochables, il semblerait naturel qu’avant de chercher à extraire de celle-ci une révélation criminelle, on se demandât d’abord si elle ne comporte pas une ou deux, ou trois interprétations parfaitement innocentes. Cela serait d’autant plus naturel qu’on se proclame un admirateur passionné de Marguerite. M. Génin ne paraît point avoir songé à cela. Du moment où la lettre était obscure, du moment surtout que la personne qui l’a écrite exprimait un très vif désir qu’elle fût brûlée, elle devenait par cela même immédiatement coupable, et l’éditeur ne s’est plus occupé qu’à se torturer l’esprit pour savoir quel genre de culpabilité il en ferait sortir. L’équité et le bon sens exigent, à mon avis, que l’on procède autrement ; par conséquent, avant de discuter l’interprétation de l’éditeur, il convient d’examiner si cette lettre ne peut pas être aussi innocente qu’elle est obscure.

Deux circonstances paraissent évidemment avoir inspiré à cet ingénieux érudit un parti-pris de suspicion : la première, c’est la vivacité excessive avec laquelle la personne qui écrit exprime son chagrin, son trouble, sa lamentable misère, et la seconde, c’est le ton non moins vif avec lequel cette même personne demande le secret : si ce secret n’est pas gardé, elle sera pis que morte.

En ce qui touche l’exagération du langage, M. Génin aurait dû, moins que personne, se laisser influencer par ce détail, puisqu’il savait que c’était là un des caractères habituels du style épistolaire de la reine de Navarre. Il remarque lui-même que cette expression pis que morte, qui nous paraît au premier abord si effrayante, est une expression familière à Marguerite ; il assure qu’elle est très fréquente chez les poètes espagnols du XVIe siècle, et que c’est à eux que la princesse l’a empruntée. Ce qui est certain, c’est qu’elle l’emploie assez souvent, soit textuellement, soit avec des équivalens, et cela dans des circonstances relativement insignifiantes. Ainsi, voulant exprimer à l’évêque Briçonnet qu’elle ne se sent pas assez fervente, elle signe la pis que morte, et, comme, l’évêque trouve son expression trop forte, elle l’adoucit en se qualifiant dans une seconde lettre la pis que malade, et dans une troisième la vivante en mort. Dans sa vingt-sixième lettre à son frère, après avoir récriminé contre le sieur de Brion, qui, dit-elle, « glose toujours