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bilité des urnes électorales, qui faisait voter les morts, supprimait les bulletins suspects et les remplaçait par des votes imaginaires, qui choisissait d’un seul coup dix-huit sénateurs parmi ses partisans, qui, en un mot, usait de tous les moyens, quelque illégaux qu’ils fussent, pour assurer le succès de ses candidats et de sa politique en violentant les libertés constitutionnelles.

Le gouvernement grec avait ouvert la campagne législative de 1861 par une fausse manœuvre. Voulant donner un gage à l’opposition et satisfaire en même temps un des vœux du pays, il avait fait publier un projet de loi qui accordait une pension de 12,000 dr. à l’amiral Canaris. On sait que les hauts faits de Canaris sont une des illustrations de la Grèce moderne. Aucun nom n’y est plus populaire que celui de l’audacieux marin dont les brûlots ont tant de fois porté l’incendie et l’épouvante au milieu des flottes ottomanes. Il s’était vu préférer autrefois l’amiral Criesis, à qui l’on avait conféré une dignité militaire supérieure à celle dont il était revêtu, et la haute faveur dont son collègue se voyait l’objet lui avait paru une injustice criante commise à son égard, une injure faite à sa gloire, qui est aussi celle de son pays. Il avait protesté par l’envoi de sa démission et l’abandon de tous les honneurs que lui avait valus la reconnaissance publique. Le roi n’avait point voulu accepter la démission du brave marin; mais l’amiral est de la trempe des hommes qui n’oublient pas, et encore aujourd’hui les Athéniens s’indignent quand ils voient paraître dans les cérémonies publiques, au milieu des brillans costumes de cour, leur vieux héros en simple frac noir, sans uniforme officiel, sans décorations militaires. Les qualités de Canaris, sa loyale sincérité qui ne transige pas, ses habitudes de candide franchise, ne lui permettent pas d’ailleurs de jouer un rôle éminent sur la scène politique de la Grèce. Il est incapable de conspirer en secret; mais l’opposition s’est fait un drapeau de son nom si respecté et si populaire, et il ne s’est pas aperçu qu’il a été plus d’une fois l’instrument involontaire de ses intrigues. Quant à la réparation tardive que lui offrait le gouvernement grec en 1861, il la déclina par un refus formel publié dans le journal le Siècle. Sa renommée n’en fut que plus grande, et l’opposition, qui s’appuyait sur lui, n’en devint que plus forte.

La nouvelle chambre avait adopté en moins de six mois, avec un