Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 39.djvu/832

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chez eux. L’aspect de leurs peintures rappelle celui des mosaïques ou vitraux qu’on fabriquait avec tant d’art au XIIIe siècle. »

Ainsi on regarde à Sèvres comme un défaut ce qui constitue justement l’effet, l’accord harmonique ; comment dès lors, avec un pareil aveuglement, arriver à bien faire ?

On ajoute que dans ces fonds particuliers aux Chinois, comme les céladons et les rouges, on trouve certaines nuances qui paraissent accidentelles et « prouvent que la fabrication de ces peuples doit beaucoup au hasard, et qu’enfin des essais empiriques ont seuls pu faire découvrir la plupart de ces fonds qu’on cherche ici à imiter. » Mais ces essais empiriques, comme on les nomme dédaigneusement, prouvent justement le mérite de l’artiste faïencier. Croit-on que le peintre qui connaît le mieux les procédés de son art, Raphaël ou Titien par exemple, n’emploie pour peindre que ces procédés mathématiques qui constituent la science à vos yeux ? Quelle est donc l’œuvre d’art et d’artiste qui ne doive une large part dans l’exécution à l’imprévu, à l’inconnu, au hasard ? Cette variété accidentelle est précisément ce qui donne à l’œuvre un cachet, un mérite propre. Vous dites que « les oxydes employés dans la palette des Chinois sont très restreints, tandis que, dans les couleurs de Sèvres, on tire un très grand parti d’oxydes et de substances qui leur sont inconnus. » Parce que les Chinois ne s’en servent pas, vous en concluez qu’ils ne les connaissent pas.

Dans la palette type des peintres de Sèvres, on est frappé de l’absence complète de couleurs franches ; c’est une carte d’échantillon qui se compose de gris, de bruns, de noirs et d’ocrée de quinze ou vingt nuances rabattues. Aussi beaucoup de gens en tirent cette conclusion « que les couleurs métalliques, étant les seules qui puissent supporter la cuisson, n’offrent malheureusement que des tons rabattus. » En effet, à voir ces demi-teintes si funestes à la décoration céramique, tous les tristes mélanges qui se fabriquent dans vos laboratoires, comment supposer qu’on se donne tant de peine pour altérer l’éclat de ces couleurs mères par excellence, pour salir ces brillantes nuances que donnent les oxydes de cuivre et de cobalt, les précipités d’or et d’étain, le manganèse et l’antimoine, et qui font tout le mérite de ce genre de peinture ?

D’où vient donc ce goût nouveau pour les teintes sales et ternies ? Pourquoi la couleur vraie est-elle depuis un demi-siècle si souvent absente de nos constructions, de nos vêtemens, de nos usages enfin ? Depuis quand cet amour du sombre, du noir et du gris s’est-il introduit chez nous ? Si nous étions des gens bien sérieux, on pourrait croire que nous portons le deuil de nos guerres et de nos révolutions, que notre esprit, mûri par les souffrances