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Nous croyons qu’il s’est trompé : ces deux ressorts différens, au lieu de s’entr’aider, se contrarient; à force de se tendre, le fil se casse; notre curiosité se fatigue avant d’être satisfaite, et la quantité de détails techniques que nous sommes contraints de subir pour arriver à nous faire une Idée bien nette des effets de l’électricité donne à l’explication même l’air d’une mystification. Ce dénoûment, en un mot, nous impatiente, parce qu’il était tout ensemble trop prévu et trop impossible à prévoir. Ainsi, dans cette pièce dont il ne faut pas s’exagérer l’importance, on peut surprendre un à un tous les petits secrets et aussi tous les côtés vulnérables du talent de M. Sardou. Il est ingénieux, il a l’esprit inventif plutôt que créateur, il réussit à soutenir ou à réveiller l’attention en variant les épisodes, en faisant valoir les détails, en déguisant sous le jeu des: accessoires, sous le cliquetis des mots et des tirades, ce que l’idée principale peut avoir de maigre ou de suranné. C’est un cultivateur habile qui tire des regains passables de terrains stériles ou fatigués. Il a des procédés d’induction et d’analyse dont l’originalité remonte à Balzac et surtout à Edgar Poë, mais qu’on peut regarder comme une innovation dans l’art du théâtre, essentiellement synthétique. Dans les Intimes, il a souvent touché de très près à la vraie comédie, et s’il ne nous l’a donnée qu’en morceaux, c’est que l’exagération de ses types n’est admissible que si l’on consent à regarder comme idiot l’homme qui se laisse piller et insulter par de semblables parasites et comme somnambule la maîtresse de maison qui ne les chasse pas de chez elle à coups de balai. Toutes ces qualités de M. Sardou sont voisines de dangereux défauts qu’il est déjà facile de prévoir et d’indiquer. Les plus habiles variations sur un air connu et une vieille chanson ne valent pas un air original et une chanson nouvelle. La science du détail, de l’épisode, du mot, de l’accessoire, peut réussir une ou plusieurs fois, mais ferait à la longue songer à ce peintre qui, ne pouvant faire sa Vénus belle, se rattrapait sur l’ajustement. La procédé par induction, du connu à l’inconnu, a du piquant et réveille à propos la curiosité blasée; mais il est nécessairement obligé de se répéter dans ses formules, borné dans ses effets, exposé à laisser lire dans son jeu un public qui n’aime pas les redites et qui ne se gênerait pas pour déclarer qu’après tout un auteur dramatique n’est ni un alchimiste, ni un algébriste, ni un juge d’instruction. La boite à surprises mérite peu de confiance : l’auteur n’en tire pas toujours ce qu’il avait cru y mettre. Enfin le penchant visible de M. Victorien Sardou vers une sorte de pacte entre le monde surnaturel et le monde matériel ne tendrait à rien moins qu’à supprimer l’homme dans le drame, à sacrifier la liberté humaine, la vie, les caractères, les passions, les luttes de la conscience et du cœur, les vrais et inépuisables élémens de l’art dramatique, à des puissances occultes et à des forces inertes. N’insistons pas: M. Sardou a dû reconnaître, dans ces deux dernières épreuves, ce qu’il a de trop et ce qui lui manque, ce que le public lui accorde et ce qu’il lui refuse. Cet échec sur-