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avec ses propres destinées les destinées posthumes du prince Strénitz. À l’heure qu’il est, on ignore encore à Vienne le véritable trépas d’un diplomate qui a laissé la réputation d’un homme possédant au suprême degré la science de se contenir. Comme la vérité est un démon qu’il est impossible d’exorciser d’une manière complète, des rumeurs partant on ne sait d’où disent bien quelquefois que la mort du prince n’est pas conforme au récit officiel, qu’elle a été le dénoûment d’un drame caché ; mais on accuse ceux qui tiennent ces discours d’être en conspiration permanente contre toute autorité légitime.


III.

Le jour même de ce combat qui venait de donner un tour inattendu à sa vie, Laërte traversait l’Allemagne et se dirigeait vers un pays ou plutôt vers un monde qui lui était plus d’une fois apparu en songe. Il se rendait en Afrique. À l’époque où fleurissait la jeunesse de ce personnage aventureux, la guerre en Europe semblait enfermée dans une caverne close pour toujours. Hors l’Espagne, où se rallumaient encore par momens les feux mourans d’une lutte intestine, tous les pays civilisés, suivant une bizarre expression employée souvent par Zabori, étaient plongés dans les ténèbres de la paix. L’Afrique au contraire semblait sourire à un avenir éclatant de nobles combats. Là renaissait sous ses formes les plus héroïques le duel antique du croissant et de la croix. Laërte s’intéressait tour à tour à nos soldats, dont il admirait les vertus chevaleresques retrempées à l’esprit des âges modernes, et à leurs adversaires, qui lui semblaient reproduire parfois les vieilles bandes intrépides de l’islam. Il se sentait donc attiré vers une terre où se pratiquait l’existence suivant ses goûts. L’Algérie exerçait sur son imagination le charme exercé par l’Italie sur la grande âme poétique de Goethe. Il pensait qu’il aurait à se perdre dans la lumière sanglante de cette violente contrée la joie du voyageur olympien de Weimar à s’enfoncer dans les blondes clartés des campagnes romaines.

À cette époque, le gouvernement français venait de créer cette légion étrangère qui a révélé des caractères si énergiques et produit des actes si audacieux. Laërte s’était dit plus d’une fois qu’il serait à sa place parmi ces hommes poussés dans une même aventure de tous les points du monde guerroyant, séparés par maints accidens de leur destinée et réunis par une passion commune. Assurément cette troupe alerte et hardie, coutumière du péril, rompue avec la fatigue et la misère, lui convenait mieux que le régiment splendide où il faisait chaque jour un service d’une paisible monotonie. Pendant son funèbre trajet dans la voiture où il était revenu avec le