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dans ses biens, et que l’arrêt infâme qui la condamnait à la mort ne soit cassé comme celui des Calas. Mon cher philosophe, il ne faut désespérer de rien. Mandez cette nouvelle à vos amis du Languedoc ; mais quand le pauvre vieillard malade aura-t-il la consolation de vous revoir ?

« VOLTAIRE. »

« Mon cher philosophe,… je vous fais compliment sur vos deux galériens. Si c’est par Mme la duchesse d’Enville que vous êtes parvenu à cette bonne œuvre, cela prouve qu’elle a du crédit auprès de M. de Saint-Florentin. Si c’est par vous-même, vous ferez casser la révocation de l’édit de Nantes.

« Je voudrais savoir comment le parlement de Toulouse a validé un mariage fait contre les lois du royaume. Ce n’est pas dans l’ordre des choses possibles. Il faut qu’il y ait dans cette aventure des circonstances qui en changent totalement le fond. Il est très vrai, Dieu merci, qu’il y a dans ce parlement une douzaine de magistrats aussi philosophes que vous.

« Si on ne vous dit rien des Sirven, lisez la dernière Gazette de Berne. Vous y verrez que le 17 novembre Sirven a été élargi, avec mainlevée de son bien. Il en appelle au parlement pour avoir des dédommagemens. Je n’ai pas un seul exemplaire de Dieu et les Hommes.

« Votre pauvre Charles Bonnet aurait grand besoin que ses parens le fissent interdire. Voilà, mon cher ami, tous vos articles tirés au clair. Ce qu’il y a de plus vrai dans tout ceci, c’est que je vous aime autant que je. vous estime, et le tout sans cérémonie. »

« Ferney, 6 décembre 1771.

« Mon cher philosophe, vous m’avez cruellement abandonné, vous ne venez plus coucher dans notre ermitage. Il faut pourtant que je vous dise que le nouveau parlement de votre Languedoc vient de rendre une justice pleine et entière à Sirven. Il lui accorde des dépens considérables et la restitution de ses revenus, malgré l’ancien usage. Nous allons prendre les premiers juges à, partie au nom des filles de Sirven. C’est M. le premier président qui a la bonté de me mander ces nouvelles. Souvenez-vous qu’il n’a fallu que deux heures pour condamner cette vertueuse famille à la mort, et qu’il nous a fallu neuf ans pour lui faire rendre justice. »

« Ferney, 4 septembre 1773.

« Mon très cher et très aimable philosophe, on dit que l’auteur d’un Éloge de Jean-Baptiste Colbert[1] pourrait bien succéder un jour à son héros. Je le voudrais bien, pour la rareté du fait et pour l’honneur de Genève. Voilà le second citoyen qui a remporté des prix dans nos académies ; mais Jean-Jacques ne ressemble qu’au chien de Diogène, et l’autre a quelque air d’un ministre d’état…

« VOLTAIRE. »

« Ferney, 1764.

« Mon cher et respectable philosophe, ce que vous a dit M. de Reverdy paraît assez vrai. C’est surtout un très grand bonheur pour la France, pour

  1. Il s’agit de M. Necker, qui avait concouru à l’Académie pour l’éloge de Colbert, et qui venait de remporter le prix. Trois ans après, Necker devenait ministre des finances