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regarder les règlemens qui doivent les diriger comme devant émaner de l’assemblée de la nation. La nation sera assemblée, elle le sera par la volonté du roi, elle le sera au plus tard en 1791[1], d’après sa parole sacrée, et sa majesté recevra de la nation le témoignage de reconnaissance qu’elle lui doit pour le grand bienfait dont vous révoquez en doute l’utilité. Quand nos rois ont établi les parlemens, ils ont voulu instituer des officiers chargés de la distribution de la justice, et non pas élever dans leurs états une puissance rivale de l’autorité royale. Vous vous plaignez de la forme et de l’effet de votre translation ; vous prétendez que c’est contrevenir au traité passé entre Charles VII et les états de Guienne en 1451, et vous taisez qu’en 1462, lors du rétablissement du parlement de Cordeaux par Louis XI, il est dit dans les lettres que la résidence serait à Bordeaux tant qu’il plairait au roi, quamdiu nostrœ placuerit voluntati. Si la justice est interrompue, vous ne pouvez en accuser que vous-mêmes. Vous n’avez rempli à Libourne aucun de vos devoirs. Vous invoquez le serment que vous avez fait d’observer les ordonnances ; elles vous enjoignent de rendre sans interruption la justice aux sujets du roi. »

La cour riposta avec une nouvelle violence ; les avocats s’en mêlèrent et signèrent une adresse au roi pour demander le rappel du parlement. Il n’y eut pas jusqu’aux étudians de l’université qui ne se crussent autorisés à envoyer au garde des sceaux leur protestation. Pour vaincre cette opposition, le gouvernement eut recours aux vieilles armes du pouvoir absolu : il exila les deux syndics de l’ordre des avocats. Les protestations redoublèrent.

Les nouvelles remontrances du parlement, en date du 4 mars 1788, contenaient de nobles principes exprimés en termes solennels. On y disait qu’en France tout, jusqu’au nom de la nation, rappelait l’idée de la liberté, que de tous les hommes les rois étaient ceux qui avaient le plus besoin de l’autorité des lois, que les ordres arbitraires et les lettres de cachet étaient incompatibles avec l’exercice de la justice, etc., vérités éclatantes sans doute, mais qui n’étaient guère à leur place. C’était à Louis XV, en plein despotisme, qu’il fallait tenir ce langage ; sous son successeur, il fallait plutôt ménager l’autorité royale, battue en brèche de tous les côtés et travaillant elle-même à se désarmer. Les autres parlemens n’en vinrent pas moins au secours du parlement de Bordeaux, et Louis XVI vit partout ses intentions méconnues par ceux qui auraient dû lui servir d’appui. Alors survinrent les fameux édite de

  1. Ce délai avait paru nécessaire pour laisser aux assemblées provinciales le temps de s’asseoir ; l’impatience générale fit avancer de deux ans la convocation.