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Le recueil de Marcoaldi contient quelques ballades remarquables : le Suicide, l’Amant confesseur, les Trois Voleurs ; mais presque tous les autres morceaux de ce genre réunis par lui, et en dernier lieu par M. Nigra, se rattachent par le sujet, par certains épisodes, par le dialecte même, à l’histoire et à la légende chevaleresques de la langue d’oc, de l’Espagne, ou même, quoique plus rarement, des pays du nord. Il en est peu où la France ne figure d’une manière plus ou moins directe, où son nom au moins ne soit prononcé. Dans la Puissance du chant (Il poter del canto), trois frères, prisonniers en France, voient venir leur jeune sœur au pied de la tour :


« Mes chers frères, chantez une chanson. — Le plus jeune l’a commencée, — les deux autres l’ont chantée. — Les marins qui naviguaient — cessaient de naviguer, — les faucheurs qui fauchaient — cessaient de faucher, les laboureurs qui labouraient — cessaient de labourer. — La sirène qui chantait — cesse elle-même de chanter. — Le roi de France, qui était à table, — cesse de manger — et dit à ses servantes : — Qui peuvent être ces prisonniers ? — Je veux l’un d’eux dans mes gardes ; — de l’autre je veux faire mon page ; — le troisième sera dans mon écurie, — pour les entendre si bien chanter. »


M. Nigra a fait ressortir les imitations de ce chant, que présente la poésie catalane, portugaise, castillane et même Scandinave. Il aurait pu ajouter une gracieuse cantilène du Nivernais ou du Bourbonnais, dans laquelle le fils du roi, « de sa plus haute chambre, » entend chanter une bergère au plus profond du bois.


« Quand mon cheval devrait crever, — il faut que je la trouve. — Mais à peine au milieu du bois, — la chanson fut finie… — Bergère, dis-moi ta chanson, — tu épouseras mon page ; — si mon page ne te plaît pas, — tu m’épouseras moi-même. »


Dans une autre chanson piémontaise, le Parricide, la France joue aussi un rôle, mais plus triste. Une jeune fille est condamnée à mort comme parricide. Le juge l’envoie en France[1]) pour être pendue.


« Quand elle fut au haut du gibet, — elle se mit à chanter. — Elle chantait si bien que le bourreau devient amoureux d’elle. — « Tonietta la belle, — voulez-vous m’épouser ? — Plutôt que d’être femme du bourreau, — j’aime mieux que mon col la danse. — Vive l’amour ! »


Quelques-unes enfin sont des reproductions presque littérales de chants dont les analogues existent ou ont existé en France, en Espagne, et, qu’on le remarque bien, ce ne sont pas des traductions faites dans les temps modernes par des lettrés, mais des versions en dialectes de la Haute-Italie, qui se trouvent depuis longtemps

  1. Remarquez que cela pouvait se dire en Languedoc ou en Provence pour désigner la France du nord.