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Saints, force relations de miracles, le fonds invariable du répertoire populaire. Le peuple lit toutes ces chansons, parce qu’il aime l’étrange et le merveilleux ; mais, sauf peut-être quelques-unes qui reposent sur des sujets religieux, il ne les retient pas et ne les fait pas siennes, parce qu’elles ne touchent pas directement ce qu’il y a d’intime en lui, ni son foyer domestique, ni même son propre pays. Cependant il est quelques vieux chants historiques dont les chroniqueurs ont conservé les fragmens, ce qui fait croire à M. Cantù qu’il a existé autrefois un certain nombre de poésies patriotiques aujourd’hui perdues. Quelques-unes rappellent les victoires des Vénitiens contre les Turcs, les descentes des Barbaresques dans les îles de la Méditerranée ou sur les côtes de la péninsule :


« Alerte, alerte ! le tambour sonne, — les Turcs armés sont à la marine. — La pauvre Rosine est prisonnière. — Ils ont tiré tant de canonnades — là, au canal della Barberia. — N’eussent été nos braves marins, — je ne revoyais plus ma maîtresse. »


Une chanson corse, citée par Tommaseo, rappelle le naufrage des galères d’Espagne commandées par André Doria. D’autres sont destinées à retracer la vie et les exploits de célèbres capitaines d’aventure. Le Testament du marquis de Saluces, qui nous a été conservé par M. Nigra[1], bien qu’il s’applique à un capitaine piémontais au service de la France, peut se rapporter à ce petit cycle tout italien par le fond et par la forme.

Certaines de ces poésies ont trait aux souvenirs des armes françaises. L’une d’elles, véritable ballade dans le sens étymologique du mot, est un chant traditionnel qui accompagne une danse dite la veneziana, bien qu’elle s’exécute dans les montagnes toscanes. Il y est fait allusion à l’attaque du Rialto par Pépin, second fils de Charlemagne, et à l’alliance qui consacra l’indépendance des îles vénitiennes.


« Vive Venise et vivent les Vénitiens ! — Vive Santa-Maria della Salute ! — Venise la belle a fabriqué un pont. — Elle l’a fabriqué en pointes de diamant. — Les Vénitiens ont grande puissance, — ils ont donné la déroute à l’ost de France. — Le roi de France lui donna Paris (à Pépin).— Vive saint Marc, vive saint Denis ! »


Villani cite un couplet sur l’héroïsme avec lequel les femmes siciliennes défendirent Messine attaquée par Charles d’Anjou. Plus tard, les Siennois chantaient pour Charles VIII :

Evviva il rè che per sua gran bontà
Manterrà Siena in vera libertà !
  1. Canzoni popolari del Piemonte, p. 49 et suiv.