Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/938

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pense, des cheveux blonds fins et soyeux, ondulés naturellement et retenus en un gros chignon qui retombe sur la nuque ; sa taille est svelte sans débilité et ses membres délicats sans maigreur. Ses manières simples et gracieuses font d’elle une personne séduisante et distinguée. Elle est très patriote et parle du sud avec horreur. Sérieuse et instruite, elle sait le français, mais elle manque d’habitude pour le parler. J’ai entamé pourtant la conversation et même sans être présenté, ce qui est un peu osé en ce pays. La voyant plongée dans la lecture de Consuelo, je n’ai pas eu de peine à me faire pardonner mon impertinence, et quand elle a su mon nom, elle m’a traité en bon camarade. Il n’y a pas de fatuité à faire ici. Les jeunes personnes sont pleines de confiance ; habituées à compter sur le respect qu’elles inspirent, elles n’ont rien que d’aimable et de naturel dans les manières. Je ne trouve rien à redire à cette absence de pruderie, préférable à la raideur de certaines petites bigotes de chez nous.

Elle m’a présenté à la seconde Mary, jeune fille de seize ans, petite, brune, au visage rond frais et rose ; un petit nez fin tout drôlement relevé qui lui donne l’air espiègle, de grands yeux bleus, dont l’un cligne d’une façon piquante quand elle dit ou fait quelque malice enfantine. Elle ne demande qu’à jouer et rit de bon cœur en montrant des dents à faire crever de dépit tous les dentistes américains. Elle ne peut rester longtemps à la même place sans que les pieds lui démangent : aussi la trouve-t-on toujours sautant ou perchant sur les échelles du steamboat, ébouriffant à la brise ses deux grandes mèches de cheveux frisés qui se dressent sur son front comme deux cornes de gazelle.

Bien qu’un peu plus jeune, la troisième Mary est moins remuante : de grands yeux noirs très allongés, des sourcils arqués, des cheveux très bruns, un nez légèrement cambré, la bouche petite et se relevant un peu de côté lorsqu’elle sourit, une physionomie assez mystérieuse et tant soit peu espagnole. Elle est sérieuse, presque triste ; elle lit, étudie et aligne des colonnes de chiffres qui, rien qu’à les regarder, me donnent la chair de poule. Elle ne quitte ce travail attrayant que pour regarder le lac un instant et se replonger dans ses problèmes.

Le père de Mary la mathématicienne sert de Mentor à ces trois demoiselles, mais je n’ai causé avec lui que ce soir. C’est un excellent homme, très aimable, et qui ressemble à un Portugais. Il a passé huit jours à Paris il y a vingt ans ; il en parle avec complaisance et lit l’Histoire de Napoléon, par Norvins, traduite en anglais. C’est le premier Américain que je vois lire autre chose que son journal.

Nous quittons enfin le monotone lac Huron pour entrer dans un