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au XVIIe siècle, on voit avec plaisir Gomberville s’efforcer au moins d’introduire dans ses fictions une part de vérité qui les diversifie. Ainsi, quand il nous transporte au Mexique ou au Pérou avant l’arrivée de Fernand Cortez ou de Pizarre, il s’attache à décrire assez fidèlement la topographie, les coutumes, la religion, les vêtemens même du pays. Mexico par exemple n’est plus une ville fantastique comme les villes des romans chevaleresques ; elle est peinte avec exactitude entre ses deux lacs. Quand le héros péruvien Zelmatide, engagé au service du roi mexicain Montezuma, fait la guerre, il ne la fait pas sur un terrain idéal ; il est campé sur le bord d’un lac, dans une grande plaine, ayant au septentrion la ville de Culhuacan, au midi celle de Iztacpalam, à l’orient celle de Mexico, et à. l’occident celle de Tlacopan. Quand Zelmatide se mesure avec un géant en combat singulier, ce géant est un géant indigène, il est l’invincible Accapouzalco, cacique de la riche ville de Xochmilco, souverain des mines d’or et du lac des Délices.

Le costume des deux combattans, au lieu d’être pris dans l’Amadis, est parfaitement conforme aux relations des voyageurs. « Zelmatide, dit l’auteur, portait un habillement de tête couvert d’un grand nombre de plumes qui lui descendaient sur les épaules et lui cachaient une partie du visage ; il avait les bras à demi nus, et pour toutes armes défensives il n’avait qu’une cuirasse de coton piqué[1] et un bouclier d’or sur lequel, pour témoigner la grandeur de son amour, il avait fait représenter le mont Popocampêche tout en feu. Ces mots étaient gravés autour de ce bouclier : Mon cœur conserve tout le sien. Il avait un carquois plein de flèches, un arc pendu en écharpe et deux longues javelines armées de pointes d’or[2]. » Je ne voudrais pas jurer que le bouclier avec sa peinture et sa devise soit parfaitement mexicain, et cependant le contraire ne m’est pas prouvé. Ce qui est certain, c’est que tout le reste de l’attirail est exact. Gomberville ne cherche pas seulement à être vrai dans les costumes et dans les cérémonies qu’il décrit, mais dans le langage même qu’il prête à ses héros. Aussitôt qu’il ne s’agit plus d’amour et qu’il peut se dégager du verbiage uniforme imposé dans l’expression de ce sentiment, on le voit chercher à mettre dans son style une sorte de couleur locale appropriée aux personnages qu’il fait parler. Comment méconnaître une telle intention plus ou moins bien exécutée, mais évidente, dans cette lettre adressée par un grand-prêtre au roi Montezuma ?

  1. Cette cuirasse de coton piqué ; qui est d’une rigoureuse exactitude, dut étonner plus d’un lecteur du Polexandre, habitué aux cuirasses traditionnelles du roman chevaleresque.
  2. Polexandre, t.I, p. 484.