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cet arbre de la vie nouvelle que nous ne cessons d’arroser de nos larmes et de notre sang, tout cela a été plus d’une fois remarqué et déploré de nos jours, surtout après que la catastrophe de février nous eut amenés à scruter plus profondément le problème de notre existence moderne et à rechercher les causes intimes du malaise moral dans lequel nous nous débattons. Ces vérités n’étaient pas si généralement aperçues lorsque le poète les exposait dans ses Psaumes, et dans tous les cas il savait leur donner une forme ingénieuse et émouvante qui n’était qu’à lui. Il voyait en outre le gouffre s’élargir de plus en plus entre les classes supérieures et intelligentes et les classes inférieures, les unes condamnées à reculer pour conserver, les autres ne pouvant espérer de conquêtes qu’en marchant en avant vers l’inconnu, et il pressentait le conflit possible imminent, entre les deux grandes factions européennes ; mais dans ce conflit même il trouvait de la place pour l’espoir : il espérait dans sa patrie. Il croyait la Pologne destinée à contre-balancer, par la nature de ses instincts et l’influence de ses actes, « les atroces lâchetés du parti rétrograde aussi bien que les épouvantables fureurs du parti radical. » C’est ainsi que l’auteur des Psaumes revenait après un long détour, et par-dessus même le gouffre sanglant de Tarnow, aux visions radieuses de l’Aurore, et qu’il s’écriait, après comme avant le massacre : « O ma patrie, regarde et espère ; l’amour sans bornes, c’est la vie sans fin !… » On jugera comme on voudra ces espérances du poète ; mais on s’inclinera toujours devant la foi et la charité qui ont pu inspirer de telles paroles après de telles épreuves.

Au moment où paraissaient ces nouveaux Psaumes, la révolution de février éclatait, et bientôt elle eut son contre-coup jusque dans la capitale de l’Autriche. Le poète anonyme suivait les événemens sans en méconnaître certes la gravité, mais sans se faire la moindre illusion. Fidèle à son système, il concevait l’époque présente comme l’enfantement douloureux d’une seconde ère chrétienne. Comme préparant « une nouvelle éruption du christianisme, » pour parler le langage de M. de Maistre ; il voyait même dans le cataclysme de 1848 l’annonce du jugement de Dieu « sur les deux mille ans qu’a vécu la chrétienté, » et d’une palingénésie selon l’Évangile ; mais dans l’avenir le plus rapproché il ne distinguait que des malheurs. Les nations lui semblaient aussi peu sages que les gouvernemens. « Il n’y a pas de privilège devant vous, ô Seigneur ; peuples aussi bien que rois, dès qu’ils vous deviennent infidèles, sont également destinés à déchoir, — puisque vos anges mêmes sont déchus par myriades 1 ». Dès les premiers jours de la révolution de 1848, il prédit les horreurs de juin dans un tableau fatidique. Ses pressentimens