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dos tacheté ; ils étaient tapis dans le sable ; sur des euphorbes, des chenilles de sphinx tithymali.

Vent du diable, de gros nuages noirs roulés sur les flancs du Petit-Atlas projettent leurs ombres fuyardes sur la plaine ; les monticules de sable volent en nuages et viennent blaireauter les empreintes laissées par les animaux sur le sol. Pas un être vivant, excepté aux abords de la route. Encore des Arabes couchés dans les mauves, immobiles, vous regardant et ne vous avertissant pas que vous marchez sur eux. C’est pousser trop loin le mépris de soi ou des autres. Des cris perçans retentissent au loin, on cherche sans rien voir ; c’est quelque femme ou enfant qui du haut d’une terrasse glapit pour écarter des récoltes les oiseaux pillards.

Vers quatre heures, le ciel s’est débarrassé de ses nuées, les montagnes se sont éclairées, c’était magnifique. Beau clair de lune et rosée ce soir. Les rossignols en cage chantent toute la nuit.

25 mai. — Je prends la promenade au hasard. Je m’engage dans un petit chemin pavé qui a l’air d’être une ancienne voie romaine. J’avance à l’ombre des berceaux et le long des cultures à travers le Sahel, et de l’autre côté des coteaux je découvre l’immense Mitidja, bornée par l’Atlas, les montagnes de Cherchel et la mer. Le temps et la vue sont splendides, ça donne des jambes. Je traverse les blés et les foins coupés, et me voici sur la route de Médéah : région ondulée, de grands pâturages jonchés de palmiers nains, d’asphodèles et d’amaryllis. En traversant Hydra, j’ai vu des caille-lait jaunes qui grimpaient à dix mètres d’élévation dans les arbres. En revenant, toujours des aloès, lentisques, caroubiers, figuiers, cactus et chênes kermès. La route, qui me ramène par la porte du Sahel, fait deux ou trois kilomètres de tours et détours en descendant : on est tellement au-dessus de la ville qu’on ne la voit pas.

Cette nuit, j’ai entendu, à une heure, la voix du muezzin qui veille avec sa lanterne allumée au sommet de la tour de la mosquée Djama-Kebir. Un tirailleur indigène et cinq Arabes qui se croisaient dans la rue se sont arrêtés, et, placés en cercle, lui ont répondu par des hurlemens sauvages ; un troupeau de chameaux passait, le son mat d’une darbouka, accompagnant un chant plaintif et monotone, partait de je ne sais quelle cave. — Cela ne ressemblait guère à une rue de Paris.

26 mai. — Promenade au Frais-Vallon, charmante région, collines coniques couvertes de verdure, avec de grandes écorchures sur les flancs. Haies de roseaux et de rosiers en fleur ; de l’ombre sur tous les sentiers.

Près d’un four à potier, quelques Arabes pétrissent l’argile et tournent des gargoulettes de toute grandeur, mais de forme inva-