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mal : sa haine est au contraire bien déterminée, et pour ainsi dire toute plastique. Le christianisme lui répugne par ce qu’il devait avoir de profondément blessant, pour tout esprit vraiment antique, par l’absence apparente d’énergie virile et de formes gracieuses. La doctrine de soumission et de résignation que prêchent sans cesse les confesseurs de la croix lui paraît indigne d’un esprit mâle et d’un homme libre ; il la nomme une lâcheté, et il n’y a pas jusqu’à cette réhabilitation de la femme, un des bienfaits immenses de l’Évangile, qui ne révolte tous ses instincts. « Ils adorent une fille, dit-il, un être dont l’enfance est éternelle et la vieillesse précoce ; des débris de la volupté ils ont créé je ne sais quel couple mystérieux, et ils se sont prosternés devant la femme, devant l’esclave du mari !… » Ainsi, peu fait pour inspirer des actions vigoureuses, l’idéal chrétien lui semble de plus essentiellement laid. « Ils sont tout adoration pour ce corps crucifié, pour ces traits qu’ils imaginent si beaux dans ce qu’ils nomment le triomphe de l’amour !… Ils ne l’ont pas connu, ils ne l’ont pas vu, quand il agonisait en proie aux hideurs de la souffrance, quand il s’affaissait sous la douleur, couvert de sang et les cheveux en désordre sous le vent qui soufflait sur sa tête !… » C’est bien là le beau naturalisme du monde ancien protestant contre le spiritualisme moderne, qui exalte l’esprit aux dépens de la forme. Qu’on observe un instant tout ce groupe antique que le poète a mis en opposition avec l’esprit chrétien, on aura une juste idée du grand sentiment d’équité et de poésie qui a présidé à cette composition.

Impartial dans ses peintures du monde antique, l’auteur ne l’est pas moins dans le tableau de la société chrétienne des premiers temps. Il s’est bien gardé de lui prêter cette placidité béate et ce détachement de toute passion humaine que lui attribue si volontiers une science banale et toute de convention. Dans l’église primitive telle que la représente le drame, l’Esprit seul est grand et infaillible, l’homme est faible comme toujours, sujet aux tentations et aux chutes. Ce n’est pas que la société chrétienne ne compte des caractères sublimes d’abnégation et de sainteté, d’une fermeté inébranlable et d’une pureté évangélique, tels que l’évêque Victor, ce serviteur selon Dieu, ce chef admirable de la communauté religieuse ; mais à côté de Victor et de ceux qui réalisent comme lui l’idéal chrétien dans toute sa pureté, on voit aussi des fidèles moins résignés, aigris par la douleur, et aspirant au soleil, à la vie. « Ils sont, des hommes, ils souffrent comme des hommes, ils espèrent comme des hommes ; il faut une base terrestre à leurs actions, et ils voudraient arracher la croix des entrailles de la terre et la planter sur le Forum romain. » Remarquez surtout ce Simon de Corinthe,