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son argent, lui répondant qu’il était libre, que je n’avais pas besoin de lui. J’avais un gros chagrin, je vous jure ; je déménageai, je pris ce petit appartement ; je voulus lutter et vivre de mon travail, ce n’est pas facile ; je crois bien d’ailleurs que j’ai la poitrine malade, je tousse jour et nuit… Que faire ? Donnez-moi un conseil ; j’ai vendu ou engagé tout ce que j’avais, et je ne sais quel parti prendre.

Je prononçai le nom de Richard.

— Ah ! pas cela ! répondit-elle en se couvrant les yeux de ses deux mains ; j’aimerais mieux mourir que de le revoir dans une telle détresse, après le mal que je lui ai fait.

Puis elle me pria d’écrire à Maurice et de lui demander une pension qui lui permît de ne pas mourir de faim et d’élever son enfant. Cette démarche me causait une répugnance extrême ; je promis néanmoins de m’en charger. Geneviève acceptait la lettre de Maurice comme parole d’Évangile ; elle ignorait les choses de la vie : elle n’avait d’autre science que celle qu’elle avait pu acquérir en écoutant les gros mélodrames du boulevard ; elle eût volontiers cru encore à la Bastille et aux couvens. J’essayai de la détromper, et j’y perdis ma peine. — Dites-lui bien, reprenait-elle avec insistance, que je ne me plains pas, qu’il est libre, que je ne veux pas l’empêcher de se marier. Assurez-le encore que je ne le tourmenterai pas, que je n’irai point traîner mon enfant chez son père ; mais faites-lui comprendre ma situation. Ce n’est pas le courage qui me manque pour gagner ma vie, c’est la force. Dites-lui dans quel état de santé vous m’avez trouvée. Mon Dieu, il est bon au fond ; peut-être cela l’engagera-t-il à revenir !

Je quittai Geneviève après l’avoir contrainte à accepter quelque argent, ce dont, hélas ! elle avait grand besoin, et je me rendis chez un de mes amis d’enfance, qui est notaire, et que je consulte avec fruit toutes les fois que je me trouve en présence d’une des difficultés de la vie. Je lui demandai s’il n’y aurait pas moyen de forcer Maurice à reconnaître l’enfant, ou du moins à prendre des mesures pour assurer d’une façon régulière le sort de Geneviève. Les réponses de mon ami me laissèrent fort peu d’espoir. Le lendemain cependant j’allais me mettre à écrire à Maurice, lorsque ma porte s’ouvrit avec violence, et Richard entra. Il portait un sac de voyage à la main. Sans préambule, il me dit : — J’ai besoin de vous, je pars pour Bordeaux, et je vous prie de m’accompagner. — Et qu’allez-vous faire à Bordeaux ? lui demandai-je en paraissant ignorer ce que je prévoyais si bien. — Je vais, me répondit-il, prendre M. Maurice Castas par les oreilles et le souffleter sur chaque joue. — Mais… — N’objectez rien. Il ne sera pas dit que ce drôle aura mis mon