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têtes de l’Angleterre, et pourtant, avec tout son esprit, je viens de l’alléger de 5,000 livres. » George IV est une espèce de cocher, joueur, viveur scandaleux, parieur sans probité, et que ses manœuvres manquèrent de faire exclure du Jockey-Club. Le seul honnête homme est George III, un pauvre lourdaud borné qui devint fou, et que sa mère avait tenu comme cloîtré pendant sa jeunesse. Elle donnait pour motif la corruption universelle des gens de qualité : « Les jeunes gens, disait-elle, étaient tous des viveurs, et les jeunes femmes faisaient la cour aux hommes au lieu d’attendre qu’on la leur fît. » En effet, le-vice est à la mode et non pas délicat comme en France. « L’argent, écrivait Montesquieu, est ici souverainement estimé, l’honneur et la vertu peu. Il faut à l’Anglais un bon dîner, une fille et de l’aisance. Comme il n’est pas répandu et qu’il est borné à cela, dès que sa fortune se délabre, et qu’il ne peut plus avoir cela, il se tué ou se fait voleur. » Il y a dans les jeunes gens une surabondance de sève grossière qui leur fait prendre les brutalités pour les plaisirs. Les plus célèbres s’appelaient Mohicans, et la nuit tyrannisaient Londres. Ils arrêtaient les gens, et les faisaient danser en leur piquant les jambes à coups d’épée ; parfois ils mettaient une femme dans un tonneau et la faisaient rouler du haut d’une pente ; d’autres la posaient sur la tête les pieds en l’air ; quelques-uns aplatissaient le nez du malheureux qu’ils avaient saisi, et avec les doigts lui faisaient sortir les yeux de l’orbite. Swift, les comiques et les romanciers ont peint la bassesse de cette grosse débauche, qui a besoin de tapage, qui vit d’ivrognerie, qui s’étale dans la crudité, qui aboutit à la cruauté, qui finit par l’irréligion et l’athéisme[1]. Ce tempérament batailleur et trop fort a besoin de s’employer orgueilleusement et audacieusement à la destruction de ce que les hommes respectent et de ce que les institutions protègent. Ils attaquent les prêtres par le même instinct qu’ils rossent le guet. Collins, Tindal, Bolingbroke sont leurs docteurs ; la corruption des mœurs, l’habitude des trahisons, le choc des sectes, la liberté des discussions, le progrès des sciences et la fermentation des idées semblent dissoudre le christianisme. « Point de religion, disait Montesquieu, en Angleterre. Quatre ou cinq de la chambre des communes vont à la messe ou au sermon de la chambre… Si quelqu’un parle de religion, tout le monde se met à rire. Un homme ayant dit de mon temps : Je crois cela comme article de foi, tout le monde se mit à rire. » En effet, la phrase était provinciale et sentait son vieux temps. L’important était d’avoir bon ton, et il est plaisant de voir dans lord Chesterfield en quoi ce bon ton consiste. De justice, d’honneur, il ne parle qu’en courant et pour la forme : « Avant tout,

  1. Personnage de Birton, dans le Jenny de Voltaire.