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Telle est la vérité, bien loin, on le voit, de ce que se représentait Napoléon lorsqu’il écrivit les récits de Sainte-Hélène. Ce n’est pas le maréchal Ney qui a oublié ses troupes ; c’est un aide-de-camp de l’empereur qui a pris sur lui de détourner les colonnes en marche, et de les envoyer, au lieu des Quatre-Bras, à Villers-Peruin et Saint-Amand. Avait-il mission de changer leur mouvement ? Cela est plus que douteux. Apparemment la note au crayon portait que le maréchal Ney, après avoir refoulé les Anglais, détacherait son premier corps sur Ligny pour prendre à revers les Prussiens, et elle le laissait juge de ce qu’il y avait de possible dans l’accomplissement de cette instruction ; mais le général Labédoyère, dans la hâte excessive d’amener à Napoléon un appui, il est vrai, décisif, ne prenant conseil que de son zèle, avait fait exécuter lui-même le mouvement vers Ligny. Il avait par là enlevé à Ney la moitié de ses troupes, sans attendre que le maréchal fût prévenu et qu’il eût pu décider.


VII. — LES QUATRE-BRAS.

Qu’est-ce donc que cette position des Quatre-Bras, objet de tant de discussions et de reproches sanglans depuis bientôt un demi-siècle ? Voici l’exacte configuration des lieux. Au sortir des dernières maisons de Frasnes, éparses sur la hauteur, la grande route traverse une vaste plaine jusqu’aux Quatre-Bras, dont la ferme blanchit à une lieue, sur une petite éminence. Cette plaine est à peine ondulée en quelques endroits ; nulle part la moindre aspérité, le moindre obstacle ; çà et là une saignée dans les prés ; partout une terre grasse, noire, ou plutôt un seul champ de labour. À une distance de 1,500 mètres l’une de l’autre, de grosses fermes aux toits bas qui s’élèvent du milieu des blés : sur la gauche, Pierrepont ; au centre, Gémioncourt ; à droite, le village de Pyraumont. Aujourd’hui la monotonie de ce terrain n’est interrompue par aucune grande végétation. En 1815, un taillis nommé le bois de Bossu bordait en partie la gauche de la route pavée. Depuis que le champ de bataille est devenu, par un don public, le domaine du duc de Wellington, il a fait extirper le bois, qu’il a changé, comme le reste, en terres à blé. Au-delà de la ferme de Gémioncourt, un petit ruisseau stagnant, le seul que l’on rencontre, et plus loin, à une demi-lieue, les Quatre-Bras. Ce n’est point un village, mais un groupe de quelques fermes aux quatre embranchemens des routes, sur Charleroi, Nivelles, Bruxelles et Namur. Comme ce point d’intersection est plus élevé que le reste de la plaine, on y arrive en montant par ces quatre tronçons de route, et, plus loin, le même plateau se déroule, les mêmes vastes bassins s’étendent. Ce n’est qu’à trois quarts de lieue plus loin que les nappes de terrain commencent à