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riosité y devient de l’émotion, le doute de l’inquiétude. Nous cherchons le redoutable secret de notre sort en remontant le flot de l’histoire et en descendant dans les abîmes de notre propre pensée. Nous sentons que toute notre grandeur est dans la raison et dans la liberté. Les triomphes du génie, le noble spectacle du droit en lutte contre la force, les élans et les transports de l’âme religieuse, le drame humain en un mot, voilà ce qui enchaînera toujours le plus fortement notre esprit ; mais dans son silence et sa majesté le monde a aussi quelque chose à nous apprendre. Sous les innombrables spectacles qu’il nous montre, nous trouvons aussi une pensée. Pour nous bien comprendre nous-mêmes, il faut que nous comprenions également ce qui est hors de nous. Quand nous avons reconnu ou du moins deviné les lois, les idées divines auxquelles les corps servent d’expression, nous pouvons porter un regard plus ferme sur notre destinée et notre avenir. Nous devons reconnaître l’immortalité de notre substance matérielle, parce qu’aucune des molécules qui la composent ne peut périr ; mais nous savons que ces élémens, aujourd’hui réunis dans le microcosme humain, doivent se dissocier et retomber dans l’inertie inorganique. Immortels dans notre chair, nous le sommes également dans notre âme, parce que chacune des idées qu’elle résume émane de la pensée divine. La création organique peut disparaître sur notre planète glacée par le refroidissement, l’espèce peut être anéantie et succomber dans sa lutte contre d’autres espèces, des peuples ont péri sans laisser d’histoire, les individus succombent par milliers chaque jour ; mais une pensée se développe à travers ces événemens : Dieu vit dans le temps, dans la création, dans l’histoire, dans l’homme. Ce qui en nous est divin ne peut périr ; notre individualité seule, c’est-à-dire notre forme passagère, doit s’évanouir. Le vase se brisera, mais le parfum qu’il recèle conservera toute sa force. Nous rêvons, nous désirons ardemment l’immortalité sous notre figure actuelle, parce que notre imagination, enchaînée par les sens, est impuissante à la concevoir autrement. Cette soif de l’infini est le plus beau privilége de notre nature. Sans doute il est inutile de chercher à pénétrer les mystères de l’avenir ; nous ne saurons jamais rien sur ce monde d’où, comme dit le poète anglais, nul voyageur n’est jamais revenu, Étudions-nous toutefois dans le présent, analysons notre âme, comprenons nos devoirs envers la création animée, envers notre espèce, notre temps, notre pays et envers nous-mêmes. Notre tâche achevée, nous n’aurons plus, suivant une expression restée grande dans sa banalité apparente, qu’à remettre notre âme à Dieu.


Auguste Laugel.