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et d’arrangemens stipulés d’avance entre un petit cercle d’abonnés. Plusieurs Anglais, économes de leur temps, ont en outre l’habitude d’adresser une ou deux fois par mois un journal quelconque à un ami qui vit dans un endroit éloigné. Cet envoi signifie : « Je me porte bien et je pense à vous. » Qu’a-t-on souvent à dire de plus dans une longue lettre ? Cette réforme du droit de poste sur les journaux fut bientôt suivie d’une autre tout aussi importante. Un voyageur traversait, il y a une trentaine d’années, le district au nord de l’Angleterre où se trouvent les lacs. Il arriva devant la porte d’un petit public house au moment où le facteur (postman) s’arrêtait lui-même pour remettre une lettre. Une jeune fille sortit pour la recevoir, la tourna et la retourna dans sa main, puis demanda quel était le prix du port. C’était une grosse somme, car évidemment la jeune fille était pauvre, et le facteur demandait 1 shilling. Elle soupira profondément, dit que la lettre venait de son frère, mais qu’elle n’avait point d’argent, et en conséquence elle remit la missive au facteur. Le voyageur était un homme qui courait le monde pour s’instruire et pour observer ; comme il avait bon cœur, il offrit de payer le port de la lettre, et, en dépit de la résistance de la jeune fille, acquitta les frais de poste. Cette résistance opiniâtre, et dans un pareil cas, lui avait pourtant donné à réfléchir. À peine le facteur eut-il tourné le dos que la jeune tavernière avoua que c’était un tour d’adresse convenu entre elle et son frère : quelques signes hiéroglyphiques marqués sur l’enveloppe lui apprenaient tout ce qu’elle avait besoin de savoir ; mais la lettre elle-même ne contenait aucune écriture. « Nous sommes si pauvres l’un et l’autre, ajouta-t-elle, que nous avons imaginé ce moyen de correspondre et d’affranchir nos lettres. » Le voyageur continua son chemin, et, tout en admirant les chutes d’eau qui embellissent certains rochers du Cumberland, il se demandait si un système fiscal donnant lieu à de telles misérables fraudes n’était pas un système vicieux. Le soleil ne se coucha point avant que M. Rowland Hill (car c’était le nom du voyageur) n’eût rêvé à organiser le service de la poste sur une nouvelle base. Il s’était dit qu’en Angleterre, où les affections de famille sont très fortes, mais où les membres vivent le plus souvent dispersés, où l’esprit de commerce et d’entreprise ne connaît point de bornes, où le réseau des relations d’affaires s’étend encore de jour en jour, la correspondance n’était limitée que par l’énormité des frais de poste, et qu’en abaissant cette barrière on rendrait un grand service à la société sans rien faire perdre au trésor. Ses vues furent agréées par le gouvernement anglais, et le 10 janvier 1840 le penny postage commença à être mis en vigueur, c’est-à-dire que les lettres ne payèrent plus que 10 centimes pour circuler dans toute l’étendue des îles britanniques. Cette innovation hardie dépassa bientôt les