Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/180

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quable. Un autre investigateur qui a passé plusieurs années à chercher les moyens de perfectionner la fabrication du papier, crut trouver un substitut au chiffon dans les libres de certains végétaux filamenteux de l’Inde, tels que le bananier et l’aloès. Enfin M. Brooman prit un brevet d’invention vers 1852 pour faire du papier avec une famille de plantes grimpantes à laquelle Linné a donné le nom de mimosa scandens, et qui abonde surtout dans les îles de l’Amérique, dans le Brésil et sur les côtes de l’Afrique. À Dieu ne plaise que je veuille décourager de si louables efforts ; mais la vérité m’oblige de dire que ces innovations sont restées jusqu’ici bien infructueuses. Suivant quelques économistes anglais, des recherches aussi coûteuses et des tentatives plus hardies encore n’auraient été paralysées jusqu’ici dans la Grande-Bretagne que par les droits exorbitans qui pesaient sur la fabrication du papier ; aujourd’hui que cette industrie est libre, elle ne tardera point à sortir de l’ornière et à se passer bravement du chiffon. Je voudrais partager ces espérances ; mais une objection m’arrête. De deux choses l’une : ou ces plantes nouvelles, sur lesquelles on compte pour régénérer une ancienne branche de manufacture, croîtront en Angleterre, et alors elles occuperont la place de cultures utiles et opulentes dans un pays qui n’a déjà point assez de terres pour suffire à la nourriture de ses habitans, ou bien elles viendront d’îles très éloignées, et dans ce dernier cas les frais de transport limiteront de beaucoup les économies qu’on se promet de réaliser sur la matière première. Je ne m’étonne donc point de voir les fabricans de Londres à idées positives reléguer ces lueurs de progrès derrière les brouillards de la Tamise. Le vieux chiffon, malgré tout ce qu’on peut dire contre lui, — et certes il n’est point sans fautes ni sans "reproches, — tient bon et tiendra encore longtemps dans les fabriques contre des essais auxquels nous souhaitons d’ailleurs toute sorte de prospérité.

Ln fait m’a étonné en visitant les paper mills, c’est la froideur, je dirais même volontiers la défiance et l’abattement avec lesquels la plupart des fabricans anglais ont accueilli la suppression des droits sur le papier. N’est-ce point la première fois qu’on voit une industrie s’effrayer de ce qu’elle n’aura plus à payer une taxe lourde et tracassière ? Il m’a fallu trouver les causes d’un mécontentement qui cherche en vain à se dissimuler sous des airs d’indifférence. Ces causes sont faciles à saisir : jusqu’ici, l’industrie qui nous occupe sommeillait dans la Grande-Bretagne le long des cours d’eau, à l’ombre des saules et des moulins, se contentant de faire d’excellent papier et de réaliser de beaux bénéfices. On se plaignait bien tout bas de l’exciseman auquel il fallait compter 14 guinées par tonne de papier, et qui jetait un regard inquisiteur sur les cuves ; mais un mal connu, avec lequel on s’est habitué à vivre, n’est presque plus