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On en cite pourtant plus d’un qui sont partis de la charrue ou de l’atelier. M. William Joynson, qui n’était à l’origine qu’un pauvre ouvrier dans un humble moulin à papier, possède aujourd’hui une fabrique dans le Kent, à Mary-Gray, où il a réussi, par ses efforts personnels, à devenir un des gentlemen les plus considérés et les plus entreprenans dans son industrie. Une branche de manufacture peut être fière de porter des hommes de fortune et de distinction ; mais elle s’honore surtout en produisant des hommes de bien. Du nombre de ces derniers était un paper maker écossais nommé Alexandre Cowan, qui mourut en 1859, à l’âge de quatre-vingt-quatre ans. Quoiqu’il eût imprimé à son industrie un caractère de grande prospérité, il refusa en quelque sorte d’être riche. Dans sa maison, il n’y avait aucun luxe ; on n’y trouvait qu’une simple et abondante hospitalité. Il avait coutume de dire à ses filles : « J’espère bien qu’aucune de vous ne sera assez misérable pour se marier à de l’argent. » Sa famille crût et multiplia comme celle d’Abraham, car, avant de mourir, il ne comptait pas moins de cent descendans. À chacun d’eux il laissa un petit avoir, assez pour se tirer d’affaire et se rendre utile dans le monde en travaillant. Une grande partie de sa fortune commerciale avait été employée à des œuvres de charité, et ses avances de fonds avaient aidé des jeunes gens de mérite à se lancer dans l’industrie. Par deux fois il versa une aumône de 800 livres sur la ville d’Edimbourg ; mais il est une action de sa vie que je tiens surtout à faire connaître. Du temps des guerres de l’empire, ses moulins, situés à Penicuick, se trouvèrent convertis par le gouvernement anglais en un dépôt pour les prisonniers français. Plusieurs de ces derniers moururent dans leur exil et furent enterrés près des moulins, sans aucun signe qui marquât l’endroit de la sépulture. Quelques années après la paix de 1815, Cowan rentra en possession de ses fabriques. Un jour il alla trouver un des habitans de sa paroisse et lui arracha 5 shillings à titre de souscription pour élever un monument aux Français. Ce n’était pas qu’il eût besoin des 5 shillings, mais il avait besoin que son nom ne figurât point seul dans une bonne œuvre. Ensuite il fit construire un joli monument de pierre qui porte cette inscription : « Près d’ici reposent les restes mortels de trois cent six prisonniers de guerre qui moururent dans le voisinage, entre 1811 et 1814. Certains habitans de cette paroisse, voulant rappeler que tous les hommes sont frères, firent élever ce monument en 1830. Grata quies patriœ, sed et omnis terra sepulchrum. »

Parmi les fabricans de papier anglais, les uns sont purement et simplement des hommes d’affaires, d’autres ne sont point étrangers à la science et s’efforcent d’appliquer toutes les ressources de la chimie pratique à de nouveaux procédés de fabrication. Je ne signale-