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qui était de l’assemblée des dix et qui avait été désigné pour haranguer le roi de France; messire Giorgio-Antonio Vespucci et messire Malatesta, chanoines savans et vertueux; maître Pietro Paolo da Urbino, médecin renommé et de bonnes mœurs; Zanobi Acciajuoli, très versé dans les lettres grecques et latines, et beaucoup d’autres, si bien qu’eu toute l’Italie il n’y avait pas un seul couvent semblable au sien. Lui-même y dirigeait les jeunes gens dans leurs études latines, grecques, hébraïques, de manière à en faire plus tard les ornemens de la religion.

« S’il fit œuvre si utile pour les choses spirituelles, il ne fit pas une œuvre moins grande pour le gouvernement de la ville et pour le bien public. Après la chute de Pierre de Médicis, le pays restait de toutes parts divisé; les partisans de l’ancien état se voyaient en grande haine et en grand péril, de telle sorte que, malgré la protection que leur accordaient Francesco Valori et Piero Capponi, il eût été impossible de les sauver, cela au grand dommage de la cité, car il y avait parmi eux des hommes estimables, sages et riches, de grande famille et d’illustre parenté. Les violences eussent engendré la désunion des gouvernans, les révolutions, les exils, et peut-être, comme dernière extrémité, une restauration de Pierre de Médicis avec une extermination et une ruine complète de la cité. Frère Jérôme lui seul empêcha ces violences et ces désordres : par l’institution du grand-conseil, il mit un frein aux ambitions; par l’appel à la seigneurie[1], il opposa une digue aux excès populaires; il fit enfin la paix universelle, qui, en coupant court à toute recherche du passé, détourna les vengeances dont les partisans des Médicis étaient menacés.

« Ces mesures firent sans aucun doute le salut de la cité, et, comme il le disait avec vraisemblance, le profit des nouveaux gouvernans aussi bien que des vaincus. Véritablement les œuvres de cet homme furent excellentes, et de plus quelques-unes de ses prédictions s’étant réalisées, bien des gens n’ont point cessé de croire qu’il avait été vraiment envoyé de Dieu et prophète nonobstant son excommunication, son procès et sa mort. Je ne sais qu’en croire, et n’ai pas sur ce point d’opinion arrêtée en aucune façon, m’en rapportant, si je vis, au temps qui éclaircira tout; mais je conclus volontiers à ceci, que, s’il fut sincère, nous avons vu de nos jours un grand prophète, et, si ce fut un fourbe, un très grand homme. En effet, indépendamment des lumières de son esprit, s’il fut capable de dissimuler si publiquement pendant tant d’années sans être une seule fois pris en faute, on doit confesser qu’il eut une intelligence, une adresse et une habileté d’une profondeur extraordinaire. »


Tel est le récit de l’Histoire florentine. Ouvrons maintenant l’Histoire d’Italie. Guichardin n’y est plus qu’un froid témoin. Prenant acte du mauvais succès des tentatives de Savonarole, il recherche et

  1. Par une loi due à l’initiative de Savonarole, tout condamné politique avait acquis le droit d’en appeler à la seigneurie, qui ne pouvait elle-même rendre son arrêt définitif qu’après un délai de quarante jours écoulés depuis le premier jugement. C’était donner aux passions populaires le temps de se calmer et sauver finalement la plupart des accusés.