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3,360 par semaine. Ces chiffres expliquent un fait qui s’est passé il y a une trentaine d’années : pour mettre les environs de Vienne à l’abri de la voracité de ces oiseaux, on avait ajouté aux contributions de chaque cultivateur deux têtes de moineau. L’impôt fut payé exactement et les moineaux disparurent, mais en revanche les arbres furent dévorés par les chenilles. Il fallut rapporter le décret et favoriser la multiplication de ces oiseaux qu’on avait voulu détruire. Il ne faut pas d’ailleurs s’imaginer qu’un oiseau est nuisible par cela seul qu’il mange des graines, car parmi celles qu’il absorbe un très grand nombre provient de plantes parasites. Ainsi les pigeons, les seuls oiseaux exclusivement granivores, vont, il est vrai, dans les champs piquer quelques épis de blé, mais ils consomment en échange une grande quantité de semences de nielle, de coquelicot, d’euphorbe, et autres espèces vénéneuses ou incommodes. Poursuivis trop souvent avec un acharnement singulier, les pigeons sont en Angleterre et en Belgique l’objet d’une protection particulière, et nous n’avons pas entendu dire que l’agriculture de ces pays ait eu à en souffrir. A l’ordre des passereaux appartiennent les pies-grièches, les mésanges, les alouettes, les gobe-mouches, les fauvettes, et la nombreuse tribu des becs-fins, dont fait partie le rossignol, le chantre mélancolique des nuits d’été. Ils se nourrissent tous de papillons, de mouches, de larves, de chenilles, qu’ils détruisent par millions[1].

Ce monde ailé est fort intéressant à observer de près, et bien souvent, immobile au pied d’un arbre, nous avons assisté à des scènes dont les acteurs paraissaient avoir pris leurs modèles parmi les hommes, tant les passions qui les agitent ressemblent aux nôtres. Ils connaissent comme nous la colère, la joie, la douleur et la jalousie; mais c’est l’amour qui paraît être le but exclusif de leur vie: c’est pour aimer qu’ils se parent de leurs plus belles couleurs, qu’ils chantent leurs plus doux chants. Nous avons entendu leurs cris d’allégresse quand le père rapportait à sa famille la pâture cherchée au loin ; nous avons été témoin de leur frayeur quand ils sentaient l’approche de quelque ennemi; nous les avons vus se blottir en tremblant sous le feuillage quand un épervier planait en tournant au-dessus du buisson qui les abritait; nous avons compati à leur malheur quand un accident venait briser leur nid et en disperser les pauvres habitans. Les passereaux sont les plus jolis, les plus gais, les plus utiles, les plus agréables de tous les oiseaux, et cependant on leur fait une chasse des plus meurtrières. Ce sont eux qu’on vend

  1. D’après les tableaux de M. Florent Prévost, dix martinets tués le soir, au moment où ils rentraient dans leur nid, avaient dans leur estomac 5,432 insectes; c’est une moyenne de 543 par jour et par individu.