Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/91

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

idées. C’était bien là toute l’apparence d’une maladie réglée, assez semblable dans ses symptômes à ce qu’on appelait autrefois fièvre nerveuse.

Le quatrième jour, plus agitée que de coutume, elle manifesta une vive répugnance pour les soins d’une des femmes de la maison. — Qu’on aille me chercher Helen Darley ! dit-elle enfin.

M. Silas Peckham, à qui le message fut porté, l’accueillit avec une solennité toute particulière. Il parla de l’importance des fonctions de miss Darley, du salaire considérable qu’il lui donnait, des frais extraordinaires qu’entraînerait son absence… Et pourtant, comme il s’agissait des riches Dudley, bien connus pour la libéralité avec laquelle ils traitaient les questions d’argent, l’honorable directeur de l’Apollinean finit par accorder son consentement indispensable, après l’avoir fait valoir aussi haut que possible. À partir de ce moment, le chiffre de l’indemnité probable devint une de ses plus constantes préoccupations.

Pour Helen, ce fut avec un grand effort intérieur qu’elle accepta la charitable mission à laquelle on la conviait ainsi. Elsie continuait à l’effrayer, et à l’idée de se retrouver sous la terrible clarté de ces yeux de diamant, — à supposer que la fièvre et l’épuisement ne les eussent pas quelque peu éteints. — elle sentait le cœur lui manquer. Reculer pourtant n’était pas possible. Elle se rendit donc à son devoir, et l’accueil de Dudley Venner fut de nature à diminuer beaucoup la répugnance instinctive que lui inspirait de loin la mansion-house, où jamais elle n’avait supposé qu’elle pût être admise sur un pareil pied de familiarité. — En l’absence du docteur, lui dit le maître de cette imposante demeure, notre malade est absolument sous votre direction… Elle vous a tant désirée, tant appelée, que votre présence auprès d’elle me semble déjà un commencement de guérison.

Ce fut alors pour Helen, constamment avec Elsie, — attentive, tout le jour et souvent toute la nuit, à suivre les moindres modifications, les plus légers caprices de cet organisme étrange, — une occasion tout à fait imprévue d’en surprendre, d’en pénétrer les secrets. Mieux que la plus subtile analyse, une faculté plus noble, mise en jeu par le désir de porter remède à des souffrances inconnues, les lui livra l’un après l’autre. Au fond de cette nature impénétrable jusque-là, derrière ce voile mystérieux qu’une invisible main semblait étendre entre Elsie et tous ceux avec qui le sort la mettait en relations, Helen finit par discerner, à la place du monstre qu’elle s’était fait, une femme comme elle et comme bien d’autres. Même par intervalles, et quand un rayon passager venait à percer l’épais nuage, elle retrouvait chez Elsie des traits de caractère qui la montraient la