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thétique qui fait positivement partie de sa substance. Il est donc bon de se tenir sur ses gardes, et ici en particulier on se méprendrait du tout au tout, si l’on supposait que la vérité sur laquelle il insiste est purement celle du trompe-l’œil, celle qui fait illusion, en nous donnant la sensation de la réalité. Il n’a que mépris pour ce misérable talent dont la plus haute ambition est de « mettre nos sens en contradiction l’un avec l’autre, de faire dire à nos yeux qu’un objet est rond quand nos doigts disent qu’il est plat, et dont le plus sublime effort est de nous causer un plaisir absolument semblable à celui que nous cause un tour de jonglerie. » Son grand ouvrage tout entier pourrait être considéré comme une longue polémique contre l’erreur populaire qui ne voit dans la peinture qu’un art d’imitation. La thèse qu’il développe, c’est que la recherche de la vérité d’apparence est précisément ce qui a perdu les peintres du passé, ce qui les a précipités dans toutes les faussetés où ils sont tombés sur le fond des choses, et que la gloire de Turner, comme le principe de son génie, est d’avoir visé plus haut que cette vulgaire ressemblance de superficie « Les Salvator, les Claude, les Cuyp et les Poussin, dit-il, avaient parfaitement compris la voie où la peinture devait s’engager de leur temps pour accomplir un nouveau progrès. Après les penseurs du XIVe siècle, les dessinateurs du XVe et les coloristes du XVIe, c’était bien du côté des effets de la nature qu’il leur restait à tourner leurs efforts ; mais tandis qu’il eût fallu retracer les mouvemens de lumière et d’atmosphère et sous leurs prestiges passagers laisser entrevoir le caractère permanent des choses, ils n’ont su rendre les effets qu’en dénaturant les objets. Devant la nature, ils n’avaient d’yeux que pour ce qui pouvait se prêter à une imitation littérale ; tout ce qui ne pouvait pas servir à faire valoir leur talent d’exécution, ils le regardaient avec une apathie absolue, ou plutôt ils passaient sans le regarder. » Poussin rangé parmi les peintres qui ont trop sacrifié à la vraisemblance ! c’est là un de ces écarts comme l’imagination de M. Ruskin s’en permet parfois, un de ces papillons roses qui, pour son œil ébloui, dansent autour du soleil, qu’il regarde trop fixement. Cela toutefois n’enlève rien à la solidité de sa plaidoirie contre l’imitation. Entre autres remarques qui demanderaient à ne pas être oubliées, il fait admirablement voir que l’espèce de ressemblance qui trompe l’œil tient purement au relief apparent, et que de la sorte elle est au plus une vérité partielle du plus bas étage, une vérité même qui, avec les moyens limités de notre palette, ne peut être obtenue qu’au détriment des vérités les plus caractéristiques et les plus importantes. D’ailleurs c’est par elle-même que l’imitation est littéralement le contraire du vrai, en ce sens qu’au lieu de chercher à nous faire connaître l’objet repré-