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LE PAVÉ.

devant une étagère.) Bon ! qu’est-ce que c’est que ça ? La grauwacke schisteuse dans les roches primitives !.. Cet imbécile de Coqueret ! Jamais il ne saura remettre en place un échantillon que son stupide plumeau fait tomber ! Ah ! quelle rage d’épousseter ! Il est vrai que Louise veut cela, et qu’il faut bien s’y soumettre. Pourvu que tout ne soit pas bouleversé ! (Il examine et range.)

le voisin

Ah çà ! dites donc, ami Durand, pensez un peu moins à vos pierres et faites-moi la grâce de m’écouter. Je suis venu pour vous parler d’autre chose, moi.

Durand

Parlez, parlez, mon cher ami, je suis tout à vous… Seulement attendez… mon marteau ! Ah ! il est resté dans mon sac ; mais je trouverai bien ici… (il ouvre un tiroir et prend un marteau.) Ah ! ah ! maître Jean Coqueret se sera exercé en mon absence. Voilà un outil ébréché, hors de service !… l’animal !… (il en prend un autre.)

le voisin

C’est votre faute, vous voulez faire de vos valets des minéralogistes…

Durand

Mon cher, celui-là, j’aurais juré qu’il avait des dispositions étonnantes : il a ce que nous appelons familièrement de l’œil, c’est-à-dire qu’il a le sens oculaire admirablement développé ; mais dès qu’on veut lui mettre un nom exact ou une saine notion dans la cervelle, c’est un idiot !

le voisin

Eh bien ! cela devrait vous faire rire !

Durand

Ça me fait rire quand je suis en train de rire ! Croiriez-vous qu’il appelle le mica du nougat et les encrinites des encritoires ?

le voisin

Et Louise, est-ce qu’elle y mord à tous vos noms barbares ?

Durand, avec feu.

Louise ! c’est un phénix d’intelligence, mon cher. Ah ! si je m’étais occupé plus tôt de l’instruire ! Je n’y songeais pas : pourvu qu’elle fût ma ménagère, je croyais qu’elle en saurait toujours assez ; mais ne voilà-t-il pas que tout dernièrement je m’avise de lui dire : Que ne sais-tu un peu de minéralogie ? tu ferais de l’ordre dans mes matériaux, que je n’ai pas trop la patience de ranger, et que ce petit laquais me place de manière à représenter l’image du chaos primitif. Eh bien ! mon cher ami, vous me croirez si vous voulez, en trois mois Louise, cette petite paysanne qui sait tout au plus lire et écrire proprement, s’est mise à étudier mon Index me-