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tendances, et jusqu’à un certain point des intérêts identiques. En tout pays, il a du moins cette uniformité, qu’il relève d’un chef étranger, vivant au dehors, placé ainsi hors du cercle des besoins, des instincts et des tendances de la nation particulière dont le clergé fait partie, chef étranger, qui a pour règle de ses appréciations, de ses jugemens et de sa conduite des principes, des intérêts ou des nécessités qui, on l’admettra du moins pour l’ordre temporel, peuvent être fort éloignés des pensées et des mobiles d’action de tel ou tel des peuples dont il dirige le gouvernement spirituel. Voilà le fait dans sa simplicité. Nous nous bornons à le rappeler sans arrière-pensée et sans prévention défavorable à l’église catholique romaine. Ce fait s’explique au contraire par les plus nobles origines du christianisme.

Dès le commencement, le christianisme eut la haute et vaste ambition qui était pour ainsi dire inhérente à ses doctrines. Il n’était pas, comme les religions antiques, un amas de rites et de superstitions ayant perdu, s’ils l’avaient jamais eue, la vertu d’améliorer les hommes et les sociétés. Avec son spiritualisme élevé et sa sublime morale, le christianisme parlait à l’homme tout entier, s’emparait de lui et devait pénétrer dans la vie civile et sociale des peuples. Cette vertu civile et sociale du christianisme fut aperçue instinctivement dès l’origine par le gouvernement de l’empire romain, et, au sein de la société polythéiste la plus tolérante qui ait jamais existé, provoqua contre la religion nouvelle ces persécutions féroces qui, au lieu d’abattre la foi chrétienne, ne servirent qu’à en démontrer la valeur morale, à en exciter l’énergie, à en hâter le triomphe. L’influence civile et sociale qui appartenait à l’esprit du christianisme dut dès le principe assurer au sacerdoce chrétien une importance, une prépondérance extraordinaires. Les circonstances politiques que le monde traversait alors contribuèrent encore à grandir le rôle de la hiérarchie chrétienne.

L’empire romain se décomposait sous l’étreinte de l’absolutisme et de la centralisation, deux causes de mort auxquelles ne résistent pas les sociétés les mieux douées. Constantin, ne trouvant plus de ressources suffisantes pour s’opposer aux irruptions des Barbares dans l’Occident, où la centralisation plus forte avait plus promptement usé les ressorts de la vie, eut la pensée d’aller demander ces ressources à l’Orient, où la civilisation grecque n’avait jamais admis dans toute leur étendue les principes de la centralisation latine. Ce fut sans doute la préoccupation politique qui le décida à porter à Byzance le siège de l’empire. On veut, dans certaines publications récentes, qu’il ait fui Rome de peur d’y être éclipsé par la grandeur du pape : explication puérile, où l’on oublie