Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/709

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout en s’efforçant de ne pas enfler le ton, il s’élève à des idées générales, philosophiques, dont les laideurs parisiennes et les beautés agrestes forment la note dominante. Cette façon de considérer la campagne du côté affectueux, domestique, humain, en la rattachant aux meilleurs sentimens de l’âme et en se tenant également éloigné de la froideur didactique de notre vieil alexandrin et du naturalisme absolu de notre grande école poétique, n’a pas encore laissé beaucoup de traces dans la poésie française. Remarquez en effet que nos modernes lyriques, M. Victor Hugo en tête, chantent la nature et non pas la campagne, ce qui est bien différent. Ils seraient, nous le croyons, d’assez tristes campagnards; ils y apporteraient le despotisme de leur génie, et il leur serait aussi difficile de se borner au sens intime de cette vie que de se plier à ses petites misères. La nature pour M. Victor Hugo, ce n’est pas une maison, une ferme, un hameau, un refuge contre les agitations de la ville, un centre autour duquel gravite tout un petit monde de chers souvenirs, d’existences obscures, de vertus cachées ; c’est un théâtre magnifique dont le génie allume les lustres, et où, seul à seul avec la création, il y absorbe à la fois la divinité et l’humanité.

On pourrait plutôt renouer ces Epitres rustiques aux œuvres de demi-caractère que la poésie anglaise a groupées autour de ses lacs, avec cette différence que les conditions mêmes de cette poésie, plus libre, plus flottante, plus aisément familière, se prêtent bien mieux à ce genre que la versification française. Les Anglais ont en outre sur nous cet avantage, que, la vie morale, la vie de famille tenant dans leur littérature une tout autre place que dans la nôtre, ses images ne dépaysent jamais le lecteur, tandis que nous sommes malheureusement habitués à demander à nos œuvres d’imagination des émotions, des peintures différentes de celles que nous cherchons à notre foyer, souvent même contraires. Il y a peut-être quelques analogies entre les procédés de M. Autran et ceux de M. Sainte-Beuve dans le livre charmant des Consolations, mais ces analogies résident seulement dans ces images familières servant de point de départ à des idées générales, dans cet effort tenté pour assouplir la raideur traditionnel du vers français, pour nous le montrer en déshabillé, presque aussi bonhomme que si on le mettait en prose. Le sentiment personnel, le tempérament poétique, s’accusent plus profondément dans le recueil de M. Sainte-Beuve : la campagne en est à peu près absente, et la note élégiaque s’y détache sur un fond de tristesse romantique. On peut encore nommer Brizeux parmi ces essayists de la poésie française familiarisée avec les champs; mais Brizeux est encore plus Breton que champêtre : la campagne n’existe