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LA
POÉSIE FRANÇAISE
EN 1861

Les lecteurs qui s’affligent du déclin de la poésie et les poètes qui gémissent de l’indifférence du public ressemblent aux amans qui se plaignent de ne pas être aimés. On n’y peut rien, et s’il est, hélas! trop facile de constater la situation, il est impossible d’y porter remède. Évidemment le sentiment poétique s’affaiblit de plus en plus, et par un contre-coup inévitable ce sentiment perd chaque jour de son intensité et de sa puissance dans des œuvres qui ne sont, qui ne devraient être du moins que l’expansion d’une de ces âmes douées de la faculté d’exprimer ce que les autres ressentent. C’est de cet accord suprême, de ces attractions réciproques, que se forme, à proprement parler, la poésie, et pour peu que ces conditions lui manquent, elle perd à la fois sa raison d’être et les élémens les plus essentiels de sa popularité et de sa vie. Les noms qui surnagent encore, les ouvrages qui essaient de protester contre ce double symptôme de décadence, ont été justement comparés ici même à ces végétations d’automne dont la pâle verdure semble déjà frissonner sous le souffle de l’hiver, à cette arrière-saison dont les rayons et les sourires trahissent l’approche de la saison morte. On pourrait aussi peut-être, à l’aide d’une autre image, comparer encore une fois la société à l’individu, et les générations qui se sont succédé en littérature depuis le commencement de ce siècle aux divers âges de l’homme. On saisirait mieux ainsi la raison des