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sier. Le génie de cet homme extraordinaire comme chimiste a fait oublier ses autres qualités ; mais cette vie si bien remplie se partageait en deux moitiés égales, ses recherches de savant et ses travaux d’économiste, d’administrateur et de financier. Fermier-général, il avait étudié à fond le mécanisme des impôts et du crédit public ; propriétaire d’une grande terre aux environs de Blois, dont il dirigeait lui-même la culture, il ne connaissait pas moins l’économie rurale dans toutes ses difficultés pratiques. À ces talens universels, il joignait l’âme la plus noble, la plus bienfaisante, la plus ardemment dévouée aux intérêts de l’humanité, et ce sera l’honneur éternel du XVIIIe siècle, au milieu de bien des erreurs, d’avoir produit de pareils caractères, qu’on ne reverra peut-être plus.

La ville d’Orléans renfermait une société royale de physique et d’histoire naturelle, une société royale d’agriculture et une société philanthropique fondée par le duc d’Orléans. Ces diverses associations reçurent avec joie l’assemblée provinciale et l’aidèrent dans ses travaux. Une foule de mémoires, qui traitaient presque tous des questions agricoles, lui furent adressés. Le rapport de la commission intermédiaire fut présenté par l’un des procureurs-syndics, l’abbé Le Geard, abbé de la Cour-Dieu, dans le diocèse d’Orléans. Comme la plupart des documens du même genre, ce rapport témoignait de l’invincible défiance du peuple des campagnes. Encore de nouvelles mangeries ! s’était écrié un laboureur en apprenant l’institution de l’assemblée provinciale. C’est contre cet obstacle, habilement exploité par des meneurs, que sont venus se briser tant de nobles efforts : incrédulité naturelle sans doute, mais aveugle et sourde, châtiment d’un long despotisme, mais en même temps source redoutable de révolutions injustes et funestes.

Aucune province plus que l’Orléanais n’avait à se plaindre, car aucune n’avait souffert plus profondément. Plus pauvre et plus dépeuplée que le Berri, elle était encore plus que la Champagne écrasée par les impôts ; on y payait 28 livres 4 sols par tête, un peu plus que partout ailleurs, à l’exception des deux ou trois provinces les plus riches, et la somme annuelle de 20 millions qu’extorquait le fisc sortait encore presque tout entière de la province. La Beauce, qui vendait des grains pour Paris, pouvait du moins ramener assez de numéraire pour payer l’impôt ; mais on a peine à comprendre comment le reste pouvait y suffire. Cette surcharge datait du règne de Louis XIV, et elle n’avait pas tardé à porter ses fruits. « La production et la population ont diminué d’un cinquième depuis trente ans