Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/685

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la taille[1]. La commission intermédiaire rendit aussi un hommage public à l’intendant, qui avait singulièrement facilité ses travaux. Le temps n’était plus où les intendans ne tenaient nul compte des intérêts et des besoins des peuples. M. Bertier de Sauvigny, qui administrait depuis vingt ans la généralité de Paris, et qui avait succédé à son père dans ces fonctions, avait commencé l’arpentage général de la province, et divisé les terres pour l’assiette de l’impôt en vingt-quatre classes, la première ne donnant que 25 sols de revenu par arpent, et les autres augmentant de 25 sols en 25 sols.

M. de Tocqueville a écrit un chapitre désespérant sous ce titre : que le règne de Louis XVI a été l’époque la plus prospère de l’ancienne monarchie, et comment cette prospérité même amena la révolution. Il y démontre que les parties de la France qui devinrent le principal foyer de la révolution étaient précisément celles où le progrès avait été le plus marqué. « C’est, dit-il, dans les contrées qui avoisinent Paris que l’ancien régime s’était le plus tôt et le plus profondément transformé. Là, la liberté et la fortune des paysans étaient déjà beaucoup mieux garanties que dans aucun autre pays d’élection. La corvée personnelle avait disparu longtemps avant 1789. La levée de la taille était devenue plus régulière, plus modérée, plus égale que dans le reste de la France. Il faut lire le règlement qui l’améliore en 1772, si l’on veut comprendre ce que pouvait alors un intendant pour le bien-être comme pour la misère de toute une province ; dans ce règlement, l’impôt a déjà un tout autre aspect, de telle sorte que l’on dirait que les Français ont trouvé leur position d’autant plus insupportable qu’elle devenait meilleure. » M. de Tocqueville arrive par là à une conclusion un peu excessive, car elle ne tendrait à rien moins qu’à détourner les gouvernemens d’entreprendre des réformes ; mais le fait qu’il signale ne saurait être contesté.

Il faut d’ailleurs tenir compte de l’état de la ville même de Paris, état qui avait ses causes particulières, et qui a été certainement la cause principale de la révolution. Dans la plus importante des notes secrètes que Mirabeau adressait à Louis XVI à la fin de 1790, il trace de Paris le tableau suivant : « La démagogie frénétique y est tellement invincible, qu’au lieu de chercher à changer la température de Paris, ce qu’on n’obtiendra jamais, il faut au contraire s’en servir pour détacher les provinces de la capitale. Jamais autant d’élémens combustibles et de matières inflammables ne furent rassemblés dans un seul foyer. Cent folliculaires dont la seule ressource est le désordre, une multitude d’étrangers indépendans qui soufflent la dis-

  1. Voir les procès-verbaux imprimés à Sens ; 1 vol. in-4o, 1788.