Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/381

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Elle a le droit en effet de commander à toutes les sciences, puisqu’elle seule certifie et consacre leurs résultats. »

« La science expérimentale est donc la reine des sciences et le terme de toute spéculation[1]. »

Ce ne sont là que des aperçus rapides et comme des éclairs de génie. Voici des pensées plus suivies et d’un plus large développement : « Dans toute recherche, il faut employer la meilleure méthode possible. Or cette méthode consiste à étudier dans leur ordre nécessaire les parties de la science, à placer au premier rang ce qui réellement doit se trouver au commencement, le plus facile avant le plus difficile, le général avant le particulier, le simple avant le composé ; il faut encore choisir pour l’étude les objets les plus utiles en raison de la brièveté de la vie ; il faut enfin exposer la science avec toute certitude et toute clarté, sans mélange de doute et d’obscurité, Or tout cela est impossible sans l’expérience, car nous avons bien divers moyens de connaître, c’est-à-dire l’autorité, le raisonnement et l’expérience ; mais l’autorité n’a pas de valeur, si on n’en rend compte, non sapit nisi detur ejus ratio ; elle ne fait rien comprendre, elle fait seulement croire ; elle s’impose à l’esprit sans l’éclairer. Quant au raisonnement, on ne peut distinguer le sophisme de la démonstration qu’en vérifiant la conclusion par l’expérience et par la pratique. » Page vraiment admirable ! Cette fière indépendance, cette haine de l’obscurité, ce besoin d’idées claires et distinctes, cet amour de l’ordre et de la simplicité, ne sont-ce pas les traits distinctifs du Discours de la Méthode et les propres expressions de Descartes ?

Roger Bacon distingue, comme fera plus tard le Novum Organum, deux sortes d’observations : l’une passive et vulgaire, et l’autre active et savante. À celle-là seulement convient le nom d’expérience. « Il y a une expérience naturelle et imparfaite, dit-il, qui n’a pas conscience de sa puissance, qui ne se rend pas compte de ses procédés, qui est à l’usage des artisans et non des savans. Au-dessus d’elle, au-dessus de toutes les sciences spéculatives et de tous les arts, il y a l’art de faire des expériences qui ne soient pas débiles et incomplètes[2]. » Mais à quelle condition l’expérience atteindra-t-elle à des résultats précis, elle qui opère toujours sur des phénomènes fugitifs et changeans ? à la condition d’appeler à son secours les instrumens de précision, et le premier de tous, le calcul. « Les physiciens doivent savoir, dit Roger Bacon, que leur science est impuissante, s’ils n’y appliquent le pouvoir des mathématiques, sans

  1. Opus tertium, dans le manuscrit de Douai.
  2. Ibid., cap. XIII.