Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/313

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de travail. Chose assez triste, cette famille réside encore aux environs, et, n’ayant plus à faire de mosaïques en incrustations, elle ne se compose plus d’artistes, mais de maçons. Cette décadence s’accorde assez avec le destin de ce monument, enrichi d’abord à si grands frais par des soins tant prolongés, et qui, vers une certaine époque, est resté comme abandonné à l’action du temps, par qui tout décline. Cependant, à l’intérieur du moins, la main du temps n’a laissé qu’une empreinte légère, et la façade, à peine mutilée dans quelqu’une de ses mille figurines, ne trahit son âge que par la couleur de rouille qui a succédé à la blancheur de plusieurs de ses marbres. Des réparations peu dispendieuses rendraient au monument tout son éclat, et la seule opération coûteuse serait de terminer le faîte carré de la façade par l’un des deux projets qui n’ont point été exécutés, le groupe de l’Assomption soutenu par quatre anges, ou un fronton orné d’acrotères et de statues. Cette façade y perdrait l’aspect de lourdeur dont la multiplicité de ses sculptures ne la délivre pas.

Mais ce travail de restauration sera-t-il jamais entrepris ? Le couvent a perdu ces 100,000 écus ou ce million de revenu que lui prêtent les auteurs. Ce n’est pas qu’il y ait lieu de confirmer les plaintes déclamatoires dont l’abandon prétendu de ce monument a été l’objet. D’abord, il est bon de le dire, ce n’est pas la France et sa révolution qui ont porté les premiers coups à la fortune des chartreux : c’est l’empereur Joseph II, qui la confisqua administrativement et donna le couvent à d’autres religieux. La présence des armées françaises n’y changea rien, et en 1796 le général Berthier, plus tard prince de Wagram, fit entendre raison à ses soldats, choqués de la couronne ducale et des armoiries des Visconti, et sauva le tombeau de toute conséquence extrême de l’abolition rétroactive de la féodalité. En 1810 seulement, la Chartreuse fut définitivement fermée, et les Autrichiens ne la rouvrirent qu’en 1843. Ils la rendirent aux chartreux, mais ils ne rendirent pas l’argent. Les bons moines vivent des fruits de leur jardin, et quelques libéralités que la piété ou l’amour de l’art envoie de Milan entretiennent la magnificence besoigneuse de la Chartreuse de Pavie.


CHARLES DE REMUSAT.