Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/26

Cette page a été validée par deux contributeurs.
24
REVUE DES DEUX MONDES.

senti le besoin de régénérer ses nombreux partisans, dans l’intérêt de sa cause, par de nouvelles croyances et surtout par une vie nouvelle, il a rédigé pour eux un code de préceptes religieux tirés des livres sacrés et appuyés sur des idées vraiment chrétiennes. Ce sont ces préceptes et ces idées qui ont éveillé l’attention du monde civilisé, et qui, triomphant avec Taï-ping-ouang, deviendraient peut-être la source d’une révolution morale pour un tiers de l’humanité.

II. — progrès de l’insurrection.

L’année 1849 (la vingt-huitième du règne de l’empereur Tao-kouang) vit enfin la haine séditieuse qui couvait depuis près de deux siècles au sein des sociétés secrètes se traduire en lutte ouverte contre le gouvernement tartare. Les commencemens de cette lutte présentent, aussi bien que les causes originelles de l’insurrection, certaines obscurités. Prises à l’improviste ou dépourvues, comme elles l’ont toujours été depuis le début de la guerre, de moyens suffisans de résistance, les autorités impériales ont voulu, pour sauvegarder leurs propres intérêts, dérober à la connaissance de leur souverain les tristes symptômes d’un mal qu’elles avaient été impuissantes à prévenir, mais dont elles espéraient sans doute arrêter les progrès. Les premières nouvelles que reçut le vice-roi de Canton[1] de la guerre du Kouang-si ne sortirent pas de son prétoire, et pendant dix-huit mois la Gazette officielle ne fit aucune mention des troubles sanglans qui agitaient une des provinces de l’empire. Vers la fin de 1850, un habitant du Kouang-si, appelé Hotah, fut envoyé à Pékin par les notables de la province pour informer le gouvernement de ce qui se passait. Admis devant le tribunal des censeurs, il exposa qu’au mois d’avril 1849 une insurrection avait éclaté dans le district de Na-ning-fou[2], que la capitale était tombée presque sans résistance au pouvoir des révoltés, que ceux-ci, après avoir pillé plusieurs villes en remontant vers le nord, avaient mis à sac l’importante cité de Liou-tchao-fou, et qu’au moment où il avait quitté le Kouang-si, ils étaient campés non loin de Koueï-linn, capitale de cette province. Il ajouta que ces révoltés portaient généralement les cheveux longs et les enveloppaient dans des mouchoirs rouges et jaunes. Sur leurs drapeaux, on lisait cette inscription : « Nous rendons la justice au nom du ciel, » et cette autre : « Roi dompteur des Tsing. »

Après avoir recueilli les déclarations de Hotah, les censeurs rédigèrent un rapport qui fut présenté au gouvernement, et dont nous

  1. Siu-kouang-tsing, alors vice-roi des deux Kouang.
  2. Chef-lieu de préfecture, situé au sud de la province, sur la rivière Yuh.