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inexacts, a commis une regrettable confusion de personnes. Il a justifié le refus dont M. Chassin a été victime en lui attribuant la personnalité d’un pamphlétaire de 1848, lorsqu’en 1848 M. Chassin, achevant à peine ses études, se préparait, sous la tutelle de sa mère, à l’examen du baccalauréat.

Comment l’aurais-je fait, si je n’étais pas né ?

Voilà une erreur dont certes M. Billault n’est point coupable, car il l’a trouvée dans le dossier que le ministère de l’intérieur lui avait fourni, mais qui n’est point propre à donner une haute idée du discernement et de l’impartialité qu’apporte l’administration dans l’octroi ou le refus des privilèges de journaux. M. Billault n’a pas été plus heureusement inspiré lorsqu’il a fait allusion à l’ouvrage récemment saisi de M. le duc de Broglie. Certes cette saisie, on s’en aperçoit aujourd’hui, a été une étourderie maladroite. Grâce à Dieu, on n’a pu lui laisser le caractère d’une saisie administrative : l’ouvrage arrêté a été déféré à la justice, et la justice, reconnaissant que l’ouvrage du duc de Broglie ne pouvait être poursuivi, puisqu’il n’avait reçu et n’était destiné à recevoir aucune publicité, a prononcé une ordonnance de non-lieu. De cet ouvrage, un seul mot est connu jusqu’à présent, et c’est à M. Billault que nous en devons la révélation ! Ne nous plaignons point au surplus de cet incident : il apprend à l’Europe libérale que les méditations de cette noble intelligence, dans la retraite où le respect universel l’environne, n’auront point été stériles. Le duc de Broglie a essentiellement l’esprit d’un législateur. À en juger par ce qui a été dit de la nature de l’ouvrage inédit qui a trop piqué la curiosité de l’administration, les législateurs de l’avenir y pourront sans doute puiser un jour des inspirations lumineuses, et, soit qu’ils se rangent à ses conclusions, soit qu’ils les repoussent, ils devront compter avec l’autorité d’un des penseurs politiques les plus éminens de ce siècle. Nous ne savons si les idées de M. de Broglie auraient chance d’être accueillies aujourd’hui ; mais l’illustre vétéran n’est point de ceux qui s’effraient de l’isolement intellectuel et politique : il l’a plus d’une fois connu dans sa carrière, et plus d’une fois aussi sa carrière lui a montré que les généreuses obstinations ne trompent point les âmes fières. Les nombreuses histoires de la restauration qui se publient en ce moment nous rappellent que M. de Broglie était seul aussi dans la chambre des pairs lorsqu’il protestait contre le jugement du maréchal Ney, et lorsqu’il défendait contre les passions et les préjugés du temps les victimes que le naufrage de l’empire avait livrées aux fureurs d’une méchante et sotte réaction. Ce jeune entêté devait paraître fort bizarre aux ultras et aux chambres introuvables de cette époque ; mais que sont devenus les ultras, et que deviennent les chambres introuvables ?

Il nous semble que M. Billault n’a pas montré sa finesse ordinaire dans l’accueil qu’il a fait aux interpellations de M. Jules Favre. L’orateur libéral n’est pas seulement un maître consommé de la parole, il est aussi un tacticien malicieux, M. Billault a trop appuyé sur la pointe que lui présentait