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belles, fines, aristocratiques autant que Van Dyck. Cela frappe surtout dans le portrait qui représente le roi debout, vêtu de noir, tenant une lettre. Je louerai avec plus de réserve celui qui le montre dans son oratoire, à genoux, mais ne priant point, étudiant sa pose bien plus qu’il ne pense à Dieu. C’est un spectacle qui choque et qui glace. Là cependant la tête est admirablement peinte.

On retrouve la même noblesse d’attitude et des mains délicieuses dans le portrait de l’infant don Carlos. Debout, la jambe tendue, tenant son feutre noir et le doigt d’un gant qu’il laisse dédaigneusement pendre, il annonce, plus que son frère Philippe IV, la fierté du sang royal et la raideur castillane qui le rendaient cher aux Espagnols. L’artiste l’a embelli, parce que son flegme est adouci par les grâces de la jeunesse. L’ennui qu’exprimait son visage se transforme en tristesse et vous touche : comme il fut enlevé à vingt-six ans, nous croyons reconnaître le sceau précoce de la mort. Du reste, avec quelle variété de talent Velasquez n’a-t-il pas traité toute la famille du roi, et son autre frère, le cardinal-infant, qui voulut être peint en chasseur, et sa première femme, Isabelle de Bourbon, montée sur sa haquenée, et sa seconde femme, Mariana d’Autriche, type ingrat qui faisait un contraste avec la beauté de la fille de Henri IV, et le petit prince des Asturies, si frais, si rose, mais qui ne devait point dépasser sa dix-septième année, et l’infante Marguerite, tant de fois répétée, dont l’image est populaire dans toute l’Europe !

Cependant l’artiste se délassait de la contrainte que lui imposaient les portraits officiels en peignant des modèles qui lui laissaient plus de liberté ou flattaient sa fantaisie, témoin ce vieux capitaine d’arquebusiers (peut-être était-ce un grand-maître de l’artillerie) dont le nom est aujourd’hui perdu, mais que désignent une cuirasse, une arme à feu et quelques boulets épars à ses pieds. Son costume, d’un violet passé, a fait bien des campagnes ; soyez sûr que Velasquez le préférait aux étoffes les plus splendides pour en tirer les harmonies où il excellait. Sa canne, son petit chapeau noir surmonté d’une plume, l’expression fine, concentrée, pénétrante du visage, sa laideur même, tout laisse sa marque, et la personnalité du modèle est si énergiquement rendue que vous l’aurez longtemps devant les yeux. Une autre fois, c’est un acteur que le peintre choisit ; il le met en scène, se balançant sur ses jambes, étendant une main éloquente, tandis que l’autre main presse contre sa poitrine les plis du manteau court. Les yeux brillent, les lèvres s’agitent, la physionomie tout entière travaille, la bouche lance les paroles : ce n’est pas seulement la vie, c’est l’action prise sur le fait. Rencontre-t-il un de ces mendians qui ont été de tout temps la gloire de l’Espagne, hardi, cynique, prêt à tout, se drapant dans son manteau déchiqueté, le feutre sur les yeux, le nez rouge, la bouche caustique : il