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d’un accusé qui tente de corrompre les juges avec de l’argent, lorsqu’on lui permet de les séduire par les articles d’une éloquence pathétique, » et il demande des punitions sévères contre ce genre de corruption. Le rôle de l’avocat sera bien simple ; on n’exigera de lui d’autre talent que de savoir « développer ses idées avec méthode. » Suffit-il donc d’exposer le fait et le droit devant le juge ? La vérité n’est-elle pas souvent enveloppée d’artificieuses obscurités, et, pour la faire jaillir d’un débat, ne faut-il pas des efforts inouïs ? Dans ces efforts, dans cette lutte ardente, passionnée, dans cette laborieuse investigation, où toute l’énergie, de l’avocat s’épuise, comment arrêter ces élans qui jettent tout à coup la lumière et vont droit à la conscience du juge par des voies mystérieuses et, divines. Comment étouffer, selon la belle expression d’un ancien, le merveilleux son que rendent naturellement les grandes âmes ?

Nous sommes peu touché, pour notre compte, des exemples empruntés par Filangieri à l’Égypte, à la Chine, même à l’antiquité grecque et à Platon. Platon ne voulait pas que le plaideur descendît à de basses supplications, turpiter supplicare, qu’il provoquât la pitié par des sanglots efféminés, commiseratione muliebriter uti. Et à cela quel remède proposait-il ? Que le juge rappelât tout simplement le plaideur au fait, ad rem a magistratu reducatur. À la bonne heure ! Sur ce point, tout le monde sera d’accord ; des intempérances de langage n’ont jamais été l’éloquence, et de tout temps la satire en a fait son affaire. Les Guêpes d’Aristophane et les Plaideurs de Racine ont marqué la limite à laquelle commence le ridicule dans les plaidoiries. Il faut remarquer que Platon écrivait pour son temps, qu’il avait sous les yeux le tribunal d’Athènes, composé de juges pris dans le peuple, et devant lequel chacun pouvait plaider sa propre cause. « Un plaideur sorti des rangs de la foule, observe très bien M. Egger, pour défendre sa cause devant un juge qui sort de ces rangs comme lui et qui demain y rentrera, ne peut parler comme l’avocat moderne, espèce de magistrat lui-même, devant une magistrature encore plus haute. Sans cesse l’intérêt et la passion offusquent en lui le sentiment de la justice ; l’ignorance du jugé le réduit aussi à plus d’une ruse dont l’emploi aujourd’hui serait honteux ou inutile. » Jusque-là tout serait au mieux, et l’on pourrait s’entendre, même avec Platon ; mais nous ne dirons rien qu’on ne sache en ajoutant que le philosophe allait plus loin, qu’en voulant tout ramener à la vérité absolue, il s’était cru obligé par son système à proscrire l’éloquence comme une dupeuse d’oreilles et la poésie comme une rêveuse. On sait également que, pour avoir médit de ces arts sublimes qui rapprochent l’homme de Dieu, jamais Platon ne fut plus éloquent qu’en parlant contre l’éloquence, ni plus poète qu’en